mercredi 27 mai 2020

1970 et les autres (10) :Velvet Underground : The Velvet Underground and Nico (1968)





   Après son escale à Djibouti où j'embarquais, je pris la mer pour la première fois à bord de l'enseigne de vaisseau Henry en direction de la mer Rouge. De la passerelle j'admirais ce que l'on appelle communément une mer d'huile que fendait l'étrave de notre aviso. Seuls quelques poissons volants venaient de temps à autre en biffer la surface. Le voyage fut paisible jusqu'à Massawa en Érythrée où nous étions attendu pour représenter la France au Massawa naval day, une fête des marines organisée depuis cinq ans par l'Ethiopie à laquelle assistait l'empereur Haile Selassie. Une belle journée de fraternité avec des marins du monde entier. Même si la venue du Negus à notre bord afin de passer la revue navale fut un grand moment pour tout l'équipage, je dois avouer que je fus surtout captivé par la découverte de l'Orient et la vie de la grouillante Massawa et, un peu plus tard de Djeddah, porte des lieux saints de La Mecque et de Médine. Les "boys" (1) que nous avions à bord n'étaient pas peu fier de s’apprêter à fouler la terre sacrée. Visite pour laquelle ils bénéficièrent d'un congé spécial et quittèrent le bord vêtus de djellabas immaculés.
   Le voyage en taxi du port jusqu'en ville relevait du rêve. Voiture américaine délabrée, chauffeur en djellaba, le chef enturbanné, baragouinant un mauvais anglais auquel je tentais de répondre d'un anglais absolument incompréhensible. Le chauffeur fendait la foule usant de son klaxon en permanence, lançant par la portière un chapelet d'injures le poingt levé, injures dont nous ne comprenions rien mais certainement dignes du capitaine Haddock. Les souks colorés et animés étaient des lieux de rêve. Nous y croisions des groupes de femmes, voilées intégralement, qui nous saluaient en susurrant très discrètement un « Hello ! Hello ! » en passant leur chemin comme si nous n'existions pas. Nous avions reçu des consignes strictes quant à la conduite à tenir. Il nous était formellement interdit de nous adresser aux femmes et encore moins de les saluer. Nous faisions simplement comme si nous n'avions rien entendu. Nous savions nous tenir. Il faut avouer que ce n'était pas difficile, nous n'avions que des jus de fruits à consommer.
   En Arabie Saoudite, le shopping tient du passe-temps national et, pour les habitants de Djeddah comme pour les visiteurs, faire des achats fait assurément partie intégrante du quotidien. Que ce soit pour dépenser des sommes conséquentes dans des boutiques de luxe ou simplement marchander des épices et de l’encens au souk. Les boutiques de Hi Fi attirèrent les plus fortunés d'entre nous. Je me contentais d'un magnéto à cassettes de bonne facture ramené précieusement à bord pour écouter, en dégustant des fruits confits, des gâteaux fourrés aux amandes et autres gâteries offertes par les boys, Le Velvet et m'endormir avec mon jus de banane dans les bras de Nico. 

(1) Cela peut paraître incompréhensible en 2020 que des "boys" soient chargés de l'entretien du linge de l'équipage à bord d'un bateau de Marine Nationale. C'était une convention établie de longue date. Chaque poste équipage disposait de deux « boys » rémunérés par nos soins. J'en fus surpris à l'époque. Refusais tout d'abord de me plier à cette convention avant de comprendre que ce manque d'argent nuirait au « train de vie » de ceux ci, « privilégiés » en comparaison des malgaches sans emploi vivant à terre. Un lien d'amitié s'est établi avec ces garçons discrets, réservés, partis intégrantes de notre poste.



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