jeudi 30 avril 2020

1970 et les autres (7) : Sweet Smoke : Just a poke (1970)





l'Aviso escorteur Enseigne de vaisseau Henry voguait sur l'Océan Indien et faisait escale à Karachi avant de rejoindre Djibouti. Je dus patienter huit jours. Mis à disposition, chaque jour, l'officier de garde m'affectait à des taches d'entretien. Vider les poubelles de l'Amirauté en faisait parti. Je secondais un chouf, un quartier maître chef, dans cette opération du jour. Les détritus furent vidés dans la benne et nous partîmes vers la décharge située en dehors de la ville. Il était déjà tard dans la matinée. La chaleur se faisait sentir. L'un et l'autre ruisselions de sueur. En chemin, nous échangeâmes quelques mots. Son affectation prenait fin. Il avait hâte de quitter Djibouti et rejoindre la métropole quittée dix huit mois plus tôt. Les derniers palmiers derrière nous, nous quittâmes le bitume pour une piste avec devant nous le désert. Nous cahotions sur la piste défoncée. La poussière soulevée remplissait l'habitacle en dépit des vitres closes. L'air était irrespirable. Nous avons dépassé le camps de la Légion et nous sommes enfoncés dans le désert. L'air frelaté voilait l'horizon. Le chouf me désigna d'une main des volutes de fumée noire. « C'est là » se contenta t'il de dire. Et je fixais le nuage de cette fumée derrière laquelle il me semblait voir s'agiter des spectres. A l'approche de la décharge, des formes de plus en plus nombreuses grossirent devant le camion. Celui-ci ne ralentit pas. Les coups de trompe tonitruantes ne changèrent rien à l'affaire. La piste fut envahi et le camion prit d'assaut. Une dizaine d'autochtones affamés se jeta sur le capot. D'autres envahirent les marchepieds. Des gamins couverts de morve et de mouches me dévisageaient de leurs yeux exorbités. Arrivés au cœur de la décharge, la benne fut envahis d'une foule grouillante sur le tas d’immondices. Nous restâmes ainsi quelques minutes avant que le chouf ne se décide à vider la benne. Hommes, femmes, enfants, chiens, chèvres et ordures glissèrent de la benne et déchargés en vrac. Déjà des hommes s'enfuyaient les bras chargés d'immondices. D'autres se disputaient un maigre butin. Imperturbables, les chiens errants et les chèvres sauvages, chassés à coups de pierre et de bâton, cherchaient leur pitance dans cette abjection.

Le chouf, impassible se préparait un joint. Dans le magnétophone il glissa une cassette et jeta la boite sur la banquette près de moi. Un import japonais. J'y discerne un sage fumant un joint. Le chouf me propose une taffe une m'invite à descendre. Je dois me glisser sous le camion et actionner une câble de fortune afin de faire redescendre la benne. J'ouvre ma portière. La chaleur m'accable et l'odeur nauséabonde me fait hoqueter. Je me jette dans la poussière et les ordures, active la remontée de la benne et regagne précipitamment le cockpit. Le chouf m'adresse un clin d'oeil. Je reprends une taffe et nous quittons cette désolation. Le chouf remet dans la boite à gants un pistolet automatique MAC. « On est jamais trop prudent » me dit il et il embraye. Nous reprenons la route du retour en silence. Je reste fasciné par ce que je viens de voir. Je n'ose demander au chouf s'il a déjà été dans l'obligation d'utiliser le MAC. Le moteur rugit. Il monte le son. Et tandis que nous cahotons sur cette piste jaune je tire une taffe du joint et découvre Just a Poke de Sweet Smoke. 





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