vendredi 24 avril 2020

Jean Giono : éléments biographique




     Fils unique d’un cordonnier et d’une repasseuse, attaché à ses racines paternelles piémontaises et gommant la part de sang provençal qu’il tenait de sa mère, il est né à Manosque, ne l’a quitté qu’épisodiquement, contre son gré, et y est mort. Ayant dû, pour faire vivre sa famille, quitter le collège à seize ans et devenir employé de banque, il bâtit seul sa culture, et ne fait à peu près aucun voyage à l’étranger jusque passé la cinquantaine.
                                                    maison natale de Giono à Manosque


     Il déteste les grandes villes, surtout Paris, où il ne restera peut-être jamais quinze jours de suite. L’atmosphère de l’édition l’indispose. Il a assez peu de relations littéraires, peu d’entregent. Aucun prix littéraire français important ne lui est jamais décerné ; il reçoit en 1929, le prix américain Brentano pour Colline, ainsi que le prix Northcliffe en 1930 pour son roman Regain. Exigeant avec lui-même, il se veut bon artisan.

    Resté à l’écart des courants, volontiers même à contre-courant, n’ayant pas fait école, pas cherché à exercer une influence littéraire, ni à dégager la théorie de son écriture, il est inclassable. On l’a pris pour un paysan, pour un écrivain régionaliste alors que la moitié de ses livres sont situés dans les Alpes, ou en Italie, ou sur l’océan, pour une sorte de félibre, lui qui ne parlait pas le provençal et avait horreur du Mistral.

Son enfance est pauvre et heureuse : pour lui un âge d’or dont il fera revivre l’atmosphère, directement ou indirectement, tout au long de sa vie. Ce bonheur est fracassé par la guerre de 14. 


    Mobilisé pendant plus de quatre ans, dont plus de deux au front dans l’infanterie – Verdun, le Chemin des Dames, le Kemmel, il en sort indemne mais viscéralement pacifiste. Démobilisé, il se marie : il aura deux filles.

   Il a toujours aimé inventer des histoires, et a très tôt voulu écrire. Il s’y exerce avec de petits textes. Mais il a trente ans quand il achève son premier roman (refusé), près de trente-cinq quand paraît le suivant, Colline (1929).

   Ce livre poétique, qui fait passer dans les lettres un grand vent frais, obtient un succès immédiat ainsi que les suivants. Giono peut quitter la banque et vivre de sa plume : Grasset et Gallimard se le disputent.

    De 1935 à 1939, l’éclairage change : le nazisme s’élève, la guerre menace. Pour la seule fois de sa vie, l’anarchiste Giono s’engage. D’abord pour la paix : il milite comme pacifiste intégral, et proclame que si un conflit éclate, il n’obéira pas. Proche des communistes pendant quelques mois, il s’en sépare bientôt : ils ne lui pardonneront pas.

    Mais son combat est plus général : il est dirigé contre la civilisation technique moderne et annonce l’écologie. L’auditoire est large. Un roman comme Que ma joie demeure (1935), un essai comme Les Vraies Richesses (1936) enthousiasment nombre de jeunes. Refus d'obéissance (1937)

    Autour de Giono, à partir de septembre 1935, puis deux fois par an jusqu’en 1939, se tiennent au Contadour, sur les plateaux de Haute-Provence, des réunions d’esprits libres. Cela lui vaut une réputation de gourou injustifiée, car il ne prêche pas et garde sa simplicité et sa gaîté. 

                     Giono et le Contadour


     Mais la guerre éclate. C’est l’échec des efforts de Giono, l’effondrement de ses illusions. Il s’est cogné au réel et n’a sauvé personne. Désespéré de devoir être infidèle à son engagement, il se laisse mobiliser pour ne pas laisser sa famille sans ressources. Il est aussitôt arrêté et emprisonné pendant deux mois à Marseille pour pacifisme. Libéré, il abandonnera toute action et toute prédication, et prendra ses distances avec le Contadour.

     La période de la guerre est difficile. Giono ne parvient à finir aucun des romans qu’il commence. Il est à court d’argent. Il aide et recueille des juifs, des communistes, des résistants pourchassés. Il écrit en 1943 une pièce de théâtre, Le Voyage en calèche, dont le héros résiste à une occupation étrangère. La censure allemande interdit la représentation, mais nul ne le sait. L’opinion retient seulement qu’un hebdomadaire pro-allemand a publié un roman de lui, commencé avant-guerre et sans aucune implication politique.

     En septembre 1944, il est à nouveau arrêté ; il passe cette fois cinq mois en détention, à Saint-Vincent-les Forts. Le Comité national des écrivains lui interdit toute publication : aucun livre de lui en 1944, 1945, 1946. Encore de 1947 à 1950, il est pratiquement mis en quarantaine. Il est classé, à tort, parmi les « collaborateurs », lui dont on ne peut citer un seul mot pour le nazisme ou pour Vichy. Il dédaigne de répondre aux accusations. Sa seule défense sera d’écrire pour remonter la pente.


     Fin janvier 1946, Jean Giono est libéré sans avoir été inculpé et assigné en résidence dans le Bouches du Rhône. Il y restera huit mois.
A la fin de la guerre, Giono est un homme blessé , désabusé, victime de l'ostracisme de l'édition qui l'ayant interdit de publication, le prive de moyens d'existence.

     Giono se retranche dans le silence et le travail, et se consacre tout entier à ses livres. Le Giono d'après-guerre sera différent du précèdent. Il abandonne les récits allégoriques et le lyrisme pour une ironie acerbe. La nature sera désormais reléguée au second plan, et ses héros s'opposeront à la médiocrité générale par leur courage
Il travaille sur le manuscrit d'Angelo, qui ne sera publié qu'en 1958 et sur celui d'Un hussard sur le toit qu'il n'achève qu'en 195


    Délaissant essais et théâtre, il suit sa voie primordiale, le roman, en se renouvelant, en se refusant à « faire du Giono », en se centrant non sur la nature, mais sur les hommes, surtout sur les caractères d’exception.

    A compter de 1951, Giono a repris la place qui lui est due. Il est élu à l’Académie Goncourt en 1954. Il se permet désormais de voyager – Ecosse, Espagne, surtout Italie – et de faire des séjours à Majorque. Il est devenu un sage, un lettré plein d’humour. Il se change du roman en écrivant des livres de voyage, de compte-rendu judiciaire, d’histoire, auxquels il impose sa marque personnelle. Il donne des chroniques d’humeur à des journaux de province.

Dès 1947, Giono publie Un Roi sans divertissement, puis Mort d’un personnage en 1949, Le Hussard sur le toit en 1951 et Le Moulin de Pologne et L’Homme qui plantait des arbres en 1953. Ecrivain à succès, il est alors à nouveau considéré comme l’un des grands écrivains du 20è siècle. Il reçoit en 1953 le Prix littéraire du Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre et est élu en 1954 au sein de l’Académie Goncourt.

   De plus, très intéressé par le cinéma, il préside le jury du Festival de Cannes en 1961, un an après la sortie de son film Crésus avec Fernandel et Rellys en tête d’affiche.

Alors que la guerre d’Algérie fait rage, il parraine un comité, crée par Louis Lecoin, militant pour le droit à l’objection de conscience. Il est accompagné dans cette démarche par André Breton, Albert Camus, Jean Cocteau et l’Abbé Pierre. Ce comité obtient un statue, certes restreint, pour les objecteurs.

    Son dernier roman intitulé L’Iris de Suse paraît en l’année de sa mort. Il est emporté par une crise cardiaque le 19 octobre 1970 et est enterré à Manosque. 



              Le Paraïs maison de Jean Giono à Manosque
Pour en savoir plus, l'excellente biographie de Pierre Citron 
 Giono : un des plus grands écrivains du xxe siècle, et un de ceux qui sont le plus mal connus. C'est qu'autour de sa vie il y a trois légendes. L'une vient de lui : s'il a souvent parlé de lui-même, cet incroyable fabulateur l'a fait en s'inventant constamment. Une deuxième est celle du cliché qui a fait de lui un régionaliste, chantre de la Provence, alors que plus de la moitié de ses livres sont situés ailleurs.
En troisième lieu, ses attitudes en 1939 et sous l'Occupation, qui l'ont fait deux fois emprisonner par des forces opposées, ont suscité des accusations calomnieuses qui trouvent encore souvent un écho aujourd'hui. Si Giono disait qu'il voulait n'être qu'un inventeur d'histoires, il n'en a pas moins nourri ses inventions de son expérience et de ses fantasmes. Entre la vie et l'oeuvre se tissent donc des liens réels bien que peu visibles, d'autant qu'avec une prodigieuse virtuosité Giono renouvelle sans cesse ses modes de narration et son écriture.


Cette biographie riche de faits et de textes inconnus est et restera longtemps l'ouvrage le plus complet et le plus solide sur l'oeuvre et la vie de Jean Giono. Tous ceux qui aiment en lui le romancier de la nature et des paysans, ou celui de la férocité et de la subtilité des âmes, ou les deux, seront heureux d'y trouver, indissolublement mêlé au poète et au créateur de personnages, un homme robuste et effervescent, en qui la gaieté, la chaleur et le charme s'allient au sens du bonheur et de la liberté.


     Prix Fémina Essai 2019 Icône littéraire, auteur d'une œuvre abondante, (Le Hussard sur le toit ; Un roi sans divertissement ; Colline...), Giono semble être l'écrivain patrimonial par excellence, voué à être étudié, admiré, célébré. Derrière l'image d’Épinal de l'écrivain provençal se cache pourtant un poète nerveux et tourmenté, un homme défait par la guerre et travaillé par la noirceur, l'amour et le désir tout autant que par la quête de paix et de lumière.
A la frontière de l'essai et de la biographie, Emmanuelle Lambert construit le portrait intime d'un auteur aussi rayonnant qu'obscur, une méditation incarnée sur la puissance du geste créateur. 

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