samedi 18 mai 2013

Alto !



Je finirais par croire à la défaillance de ma mémoire tant les photographies observées m’évoquent bien plus de souvenirs que de détails précis.
 Celle-ci par exemple. Mis à part mes parents et moi-même, je ne connais le nom d’aucune des personnes présentes pas plus que celui du village où elle a été prise au début des années 60.

Nous sommes en Espagne dans la région de Valence, pays castillan. Un paysage qui commence par les bleus de la mer pour arriver à un arrière-pays méconnu où foisonnent sur les collines, oliviers, citronniers et orangers magnifiques. Les deux adultes et l’enfant sont des cousins de ma mère. Lui est médecin, comme un autre cousin de ma mère, dont les membres de la famille, sur une photographie égarée, me rappelleraient bien plus tard des personnages tirés d’un film de Carlos Saura.

Il m’a été rapporté qu’il y avait une différence notable entre les deux cousins. Le second était plus proche du régime que ne l’était celui au sourire triste. Est-ce pour cela qu’il officiait dans un village comme médecin de campagne ? Alors que la 4CV familiale bénéficiait d’une certaine ferveur dans le village, le médecin, quant à lui, se déplaçait en Vespa. Question ou pas de bien marquer sa différence sociale, il était propriétaire dans le village d’une vaste maison, équipée du téléphone et de la télévision. Une voisine effectuait ménage et repassage à domicile. Un jour, pour le repas, ma mère avait vidé deux volailles. La cousine de ma mère s’était empressée de jeter les abats aux ordures. Le regard désolé de la femme de ménage avait suivi le manège des entrailles jusqu’à la poubelle. Pour rien au monde elle n’aurait rien demandé, mais il était évident aux yeux de ma mère qu’elle se serait empressée, elle aussi, de les récupérer au passage dans les ordures. Ma mère, toujours très généreuse, surtout avec les entrailles des volailles des autres, lui en fit don gracieusement. La femme de ménage les emporta dans un torchon.

Cette femme avait des enfants dont un garçon de mon âge avec lequel je jouais dans un terrain proche. Comme tous les garçons nous jouions à la guerre et je me figeais lorsque d’un ton péremptoire il imposait son   "alto !" à l’ensemble de notre détachement. En prévision d’un été chaud, m’a mère avait acheté une série de chemisettes en coton à motifs imprimés. Celles à têtes de peaux rouges, aux rutilantes stations services, avec une carte routière ou des voitures américaines faisaient sensation auprès de mon camarade de jeux. Je lui en fis cadeau avant mon départ. Pour me remercier, je fus invité à déjeuner par mon camarade. Les cousins tout d’abord s’y opposèrent puis finirent par céder, après tout je n’étais pas leur enfant. Je me rendis donc à cette invitation. Et dans une courette ouverte en plein ciel, assis sur des pierres cerclant le feu, j’ai dégusté une des meilleures paellas aux abats de volailles qu’il m’ait été donné de manger.

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