samedi 11 mai 2013

A moi seul bien des personnages de John Irving

 

Comme souvent dans les romans de John Irving il est question de Charles Dickens et de bibliothèque, ce qui n’est pas pour me déplaire.


Alors que les rues résonnent encore des vociférations homophobes, le roman de John Irving « A moi seul bien des personnages » est un bouquet de fraicheur et un grand soulagement dans le discours actuel nauséeux et rétrograde.

Billy, écrivain et professeur de littérature, est le témoin du passage du temps de ces soixante dernières années. Dans les années cinquante dans le Vermont, le jeune Billy découvre sa sexualité, sa bisexualité devrais-je dire, car s’il pratique des séances de masturbation devant l’improbable collage de femmes en mannequins pour soutien-gorge sur les pages de lingerie des catalogues de VPC de sa mère, il tombe aussi sous le charme de celui qui deviendra son beau-père ainsi que son professeur de théâtre et de littérature. L’équipe de lutte du collège et surtout son capitaine Kittredge sont loin de le laisser indifférent tandis que la bibliothécaire Miss Frost éveille en lui un double fantasme artistico-érotique :  « Je commencerais bien par vous parler de Miss Frost. Certes, je raconte à tout le monde que je suis devenu écrivain pour avoir lu un roman de Charles Dickens à quinze ans, âge de toutes les formations, mais, à la vérité, j'étais plus jeune encore lorsque j'ai fait la connaissance de Miss Frost et me suis imaginé coucher avec elle. Car cet éveil soudain de ma sexualité a également marqué la naissance tumultueuse de ma vocation littéraire. Nos désirs nous façonnent : il ne m'a pas fallu plus d'une minute de tension libidinale secrète pour désirer à la fois devenir écrivain et coucher avec Miss Frost - pas forcément dans cet ordre, d'ailleurs. »

Ainsi s’ouvre ce roman merveilleux à l’ironie ravageuse à la provocation tranquille, aux obsessions burlesques, aux débauches priapiques. Un roman sur le sexe, les névroses la littérature et le théâtre. Chaque personnage, complexe, tient un rôle, ou plusieurs, réel ou fictif, dans une pièce de théâtre elle-même incluse dans un roman suggérant que la vie est un songe et l'identité (sexuelle) un emboîtement de constructions. "Nous sommes faits de l'étoffe des rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil", dit Prospero à la fin de La Tempête. Nous sommes faits du tissu de nos désirs, répond en substance Irving. Et comme l’écrit Edmund White en quatrième de couverture : « A moi seul bien des personnages est un roman qui vous rend fier d’être humain. »


A moi seul bien des personnages de John Irving, Seuil, 480 p., 21 €.

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