jeudi 17 septembre 2020

Jean Giono (1895-1970) bibliographie sélective (3)




      

Le cinquantenaire de la disparition de Jean Giono (1895-1970) est l'occasion de revenir sur la bibliographie de cet écrivain majeur de la littérature française dont voici le dernier volet consacré aux chroniques.


Après 1945, l'écriture de Jean Giono devient plus incisive, allègre et ironique, tandis que son œuvre prend une tonalité sombre et pessimiste.
Elle se développe dans deux directions : le « cycle du Hussard » avec Angelo, Le Hussard sur le toit, Le Bonheur fou, Mort d’un personnage et la série des « Chroniques romanesques », avec Un roi sans divertissement, Les Âmes fortes, Le Moulin de Pologne.



L’objectif initial de Jean Giono était de composer une série de dix ouvrages mettant en scène la vie d’Angelo Pardi, puis de sa descendance. Cette décalogie commençant à la lumière du XIXème siècle avec Angelo, publié en 1945, consiste à retravailler l’histoire d’un personnage vivant dans le siècle antérieur à celui de l’auteur, pour mieux montrer l’opposition avec son propre XXème siècle. En effet, si le cycle avait été complet, nous aurions pu assister à l’évolution de la lignée d’Angelo au travers de années, jusqu’à l’ultime épisode où son petit-fils, Angelo III, aurait incarné un héros de la résistance durant la seconde guerre mondiale.


L’ampleur de la tâche n’à pas permis à Giono d’accomplir son projet initial : seuls trois tomes sur les dix prévus ont vu le jour : Mort d’un personnage en 1949, Le Hussard sur le toit en 1951, et Le Bonheur Fou en 1957. Le fil conducteur est cependant conservé, car le troisième opus nous présente encore la suite des aventures d’Angelo, tandis que la mort de la personne mentionnée dans le premier n’est autre que Pauline de Théus, qu’on ne découvre que pleinement dans le second tome.

 Conception: printemps 1945.
Publication: Gallimard, 1958.

 Angelo Pardi part de Turin après avoir fort joliment tué d'un coup de sabre M. le baron Schwartz, espion autrichien. Il passe la frontière en grand uniforme de colonel des hussards de Sardaigne, sur un cheval admirable. Les conspirations, les dangers, les amours ne vont point manquer à Angelo qui se trouvera aux prises avec le subtil vicaire général d'Aix-en-Provence, le marquis de Théus, avec la charmante Anna Clèves qui l'aimera sans espoir, avec Pauline enfin, cette femme si belle qu'il sauvera un jour.




     Vieille et grande dame de Provence, Pauline de Théus attire et intrigue tous ceux qui l'approchent. Mais c'est son petit-fils Angélo qui, plus que quiconque, subit le charme de cette femme au passé généreux qui vit désormais à Marseille, dans une maison d'aveugles. Les années passent, lointaines, et c'est une Pauline de Théus aux confins de la mort que retrouve Angélo : mais elle n'a rien perdu de son prestige ni de sa grandeur. Pudique et bouleversante histoire d'amour entre un enfant et une vieille dame, Mort d'un personnage est peut-être le plus classique, le plus dépouillé, le plus rare des romans de Jean Giono.



     Hiver 1843. De mystérieuses disparitions inquiètent les habitants d'un village perdu au cœur des Alpes. C'est alors que le capitaine de gendarmerie Langlois arrive pour mener l'enquête... Au fil des pages, le lecteur suit avec passion l'enchaînement des faits que reconstitue le narrateur. Il découvre peu à peu qu'il ne s'agit pas tant de résoudre une énigme que d'explorer les tréfonds de l'âme humaine.
Jean Giono signe un roman fascinant, qui emprunte les codes du récit policier pour mieux s'en émanciper, et renouvelle le genre de la chronique littéraire. 





     "Il y a de petites places désertes où, dès que j'arrive, en plein été, au gros du soleil, Œdipe, les yeux crevés, apparaît sur un seuil et se met à beugler. Il y a des ruelles, si je m'y promène tard, un soir de mai, dans l'odeur des lilas, j'y vois Vérone où la nourrice de Juliette traîne sa pantoufle. Et dans le faubourg de l'abattoir, à l'endroit où il n'y a rien qu'une palissade en planches, j'ai installé tous les paysages de Dostoïevski..."

 


     "Elle était à ce moment-là, de beaucoup et de loin, la plus belle femme de Châtillon, et même d'ailleurs certainement. Quelqu'un qui l'a bien connue à ce moment-là me disait :"Elle était belle comme ce marteau, vois-tu !". Et il me montrait le marteau dont il faisait usage depuis vingt ans (c'était un cordonnier), un marteau dont le manche était d'un bois doux comme du satin depuis le temps qu'il le maniait, dont le fer si souvent frappé étincelait comme de l'or blanc.
Et avec ça elle était tout le temps affable et gentille". 



      Alors, il se met à tripoter son paquet de cartes comme s'il tirait sur un accordéon. Il le frappe, il le pince, il le soufflette, il le caresse, il l'étire et le referme. Il annonce : roi de pique, sept de carreau, trois de cour, roi de trèfle, dame de cour, neuf de pique, deux de carreau ; et chaque fois la carte annoncée tombe. Il jette le jeu de cartes dans le bassin de la fontaine et, quand il va y tomber, le jeu de cartes se regroupe dans sa main.
Il me l'étale sous le nez en éventail, en fer à cheval, en roue, en flèche. Il fait couler les cartes de sa main droite à sa main gauche, en pluie, en gouttes, en cascades. Il leur parle, il les appelle par leurs noms ; elles se dressent toutes seules hors du jeu, s'avancent, viennent, sautent. Il raconte de petites saloperies à la dame de cour et la dame de cour bondit jusqu'à sa bouche...

 



      Le hussard sur le toit : avec son allure de comptine, ce titre intrigue. Pourquoi sur le toit ? Qu'a-t-il fallu pour l'amener là ? Rien moins qu'une épidémie de choléra, qui ravage la Provence vers 1830, et les menées révolutionnaires des carbonari piémontais. Le Hussard est d'abord un roman d'aventures : Angelo Pardi, jeune colonel de hussards exilé en France, est chargé d'une mission mystérieuse.
Il veut retrouver Giuseppe, carbonaro comme lui, qui vit à Manosque. Mais le choléra sévit : les routes sont barrées, les villes barricadées, on met les voyageurs en quarantaine, on soupçonne Angelo d'avoir empoisonné les fontaines ! Seul refuge découvert par hasard, les toits de Manosque ! Entre ciel et terre, il observe les agitations funèbres des humains, contemple la splendeur des paysages et devient ami avec un chat.
Une nuit, au cours d'une expédition, il rencontre une étonnante et merveilleuse jeune femme. Tous deux feront route ensemble, connaîtront l'amour et le renoncement. 



     Ils se jetèrent l'un contre l'autre. En échappant aux bras, Mon Cadet frotta sa tête contre la poitrine de Marceau. Il entendit de nouveau les furieux coups sourds. Il comprit que c'était le cœur de son frère ; il se sentait, lui, propre, net, sec et dur comme un fuseau de quenouille. Il lui glissait des mains, il prit audace et appuya carrément son épaule contre le ventre de Marceau. Il essaya de le ceinturer.
Marceau le saisit aux hanches et le souleva.




     "Moulin de Pologne, pourquoi ce nom ? Personne n'en sait rien. Les uns prétendent qu'un pèlerin polonais allant à Rome s'établit jadis à cet endroit-là dans une cabane. Un peut après la chute de l'Empire, un nommé Coste acheta le terrain, fit construire la maison de maître et les dépendances qu'on voit encore. Coste était un enfant du pays, mais il y revenait après un long séjour au Mexique. C'était, paraît-il, un homme maigre et silencieux. On se souvient surtout de ce qui le caractérisa : des sautes d'humeur violentes qui le faisaient passer sans transition d'une bonté de pain à une cruauté famélique ". 



    Le Bonheur fou, c'est celui qu'éprouve Angelo Pardi, le héros du Hussard sur le toit, à faire la révolution italienne en 1848. Angelo se promène à travers la révolution comme il se promenait naguère à travers le choléra de Provence. La guerre - cette guerre-là, qui est à la fois guerre civile et guerre à l'Autriche - lui communique les sentiments les plus délicieux. L'amitié y prend quelque chose d'exalté et d'admirable, bien propre à transporter l'âme la plus noble du Piémont.
Les combats de rues ou batailles confuses quoique «rangées», n'ont rien de honteux, car c'est l'amour de la patrie qui les anime, ainsi qu'un prodigieux goût de vivre.Des amours très brèves, de longues marches à pied ou à cheval, d'innombrables rencontres avec une foule de personnages d'une extraordinaire vérité, sont les événements de ce roman aux dimensions tolstoïennes, écrit dans la langue la plus rapide du monde.




      Le héros d'Un roi sans divertissement, l'inoubliable et désenchanté capitaine de gendarmerie Martial Langlois, reparaît dans ces six nouvelles. Pendant la Restauration, Martial, ancien soldat de Napoléon, sert le pouvoir en y mettant une nuance de distance et de dédain. Sur son cheval, des Alpes de Provence aux Cévennes, il débrouille les mystères policiers et déjoue les complots politiques, tout en poursuivant son rêve. La nature, les chevaux, le mystère, le danger, l'intelligence et les personnages aux cours fiers, tout concourt à faire de ces nouvelles autant de chefs-d’œuvres qui se lisent avec le plus vif plaisir.





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