mardi 3 septembre 2019

1969 l'année de mes 16 ans : Woodstock (2)



    La plupart des artistes étaient rodés aux festivals, ayant participé à celui de Newport, Monterey ou Miami; le programme prend forme. Joan Baez, Ravi Shankar, Richie Havens, Ten Years After, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Joe Cocker, Janis Joplin, les Who et Jimi Hendrix ont déjà donné leur accord. Une sorte d'unanimité des organisateurs avaient écartés les Rolling Stones dont l'image de violence ne cadrait pas avec le festival, et les Doors déclinèrent l'invitation, Jim Morrison étant convaincu qu'il serait agressé et tué sur scène. Des milliers d'affiches sont imprimées et déjà des dizaines de milliers de billets ont été vendus, quand après des semaines de négociations, sous la pression des Citoyens Concernés de Wallkill, le propriétaire de Mill's Park se rétracte. Les spectres d'Easy Rider ont encore frappés. Début juillet, le festival a perdu son site.Woodstock Venture emploie déjà une centaine de personnes et des milliers de dollars ont été dépensés, des garanties versées aux artistes. Un communiqué est immédiatement adressé à la presse, confirmant que le festival aurait bien lieu. La notoriété de l'évènement est maintenant définitivement assurée. La rumeur a pris de l'ampleur, et, des endroits les plus éloignés des Etats-Unis, parviennent des milliers de réservations. Souvent les chèques sont accompagnés d'un message «Love & Peace».




     Woodstock était dans l'air. Les participants se souviennent d'une rencontre de hasard où quelqu'un a mentionné Woodstock, une discussion sur le campus, des copains qui forment un projet de vacances. Le mouvement vers l'ouest qui portait encore sur San Francisco et la Californie au moment du Summer of Love de l'été 1967 semble soudain s'être inversé. Tandis que Michael Lang sillonne la région en hélicoptère, des offres arrivent maintenant d'un peu partout, encouragés par leur détermination et le crédit dont ils disposent.C'est ainsi que leur est proposé un champ de la ferme de Max Yasgur, à Bethel, dans le district de White Lake, au pied des Catskills, régions de vallons et de lacs.Dès la visite terminée, Michael Lang est persuadé que ce champ est l'endroit idéal. Un vallon boisé, isolé à presque 2 km de la route principale, un herbage en pente de plusieurs hectares, se terminant par un étang, et suffisamment de terrain plat pour installer une immense scène et le pavillon des artistes. Max Yasgur pose ses conditions, non seulement quant au montant de la location, mais également pour tout ce qui concerne le déroulement des travaux et la remise en état après le festival. Et il demande une nuit de réflexion. Le matin en ouvrant ses volets, il aperçoit, dans le champ qui sépare sa maison de la route, un panneau qu'il n'avait jamais vu. Le panneau annonce: « Don't buy Yasgur's milk. He loves the hippies .»(« N'achetez pas le lait chez Yasgur. Il adore les hippies. ») La décision de Yasgur est prise. Avec son soutien actif, John et Joel conduisent les négociations. Cette fois-ci, les associés de Woodstock Venture vont obtenir un accord définitif des autorités de White Lake.




    Le vendredi après-midi, avant que ne commence le premier concert, John, Joel, Artie et Mike examinent la situation depuis la scène. Plusieurs dizaines de milliers de gens occupent le champ depuis la veille, d’autres arrivent toujours plus nombreux. Des groupes, avec ou sans leur billet, arrivent ensuite de toutes parts, arrachent les grillages seulement pour arriver à entrer tellement l’accès principal est encombré. La marrée humaine oblige les organisateurs à prendre la seule décision possible, un tonnerre d’applaudissements salue l’annonce faite par John Morris: « From now on, this is a free concert! » A partir de maintenant, l’entrée est libre.



    Le souvenir de la gratuité de ce festival contribuera largement au mythe Woodstock. Il poursuit son annonce et demande au personnel d’évacuer les guichets, d’ouvrir les portes et d’aider à la mise à terre des clôtures - dont la pose vient de s’achever - afin que nul ne se blesse en la franchissant.John Morris a d’autres soucis. La paralysie du trafic provoque d’énormes retards dans l’acheminement des instruments et du matériel des artistes. Le concert doit commencer et les amplis de la plupart des groupes ne sont pas arrivés, les camions étant restés bloqués sur l’autoroute 17.



  
     Alors le dimanche, après que le gouverneur a déclaré White Lake zone sinistrée, quand le bruit se répand que les stocks de nourriture sont épuisés, un sentiment de solidarité se développe avec cette jeunesse. Dans les Bungalows Colonies et les fermes des environs, des milliers de sandwiches sont préparés dans des dizaines de familles, tandis qu’un hôtelier de Monticello fait durcir des centaines d’œufs. Et par les petites routes forestières, les habitants, leurs camions chargés de provisions, rallient le site du festival où le concert a repris. Après l’époustouflante interprétation de With a Little help from my friends de Joe Cocker, version promise à devenir plus célèbre que l’original des Beatles, une tornade s’est abattue malgré les fervents «No Rain» psalmodiés par la foule. Dans le champs désormais transformé en immense bourbier, que commence à faire sécher le soleil d’août, le concert a repris. S’enchaînent alors des groupes qui vont également marqués ce festival comme Santana, Ten Years After, Crosby, Stills, Nash & Young. Et lundi matin à l’aube, Jimi Hendrix entre en scène. Dans la nuit, des milliers sont déjà partis,mais les 30.000 qui restent sont gratifiés de l’une des meilleures performances du festival. Jimi Hendrix au sommet de son art. Quand il attaque The Star Spangled Banner (l’hymne américain), organisateurs et spectateurs sont tirés de la torpeur où les a plongés trois jours de musique, de veille, d’intempéries, d’herbe et d’acide. A travers l’interprétation d’Hendrix, dont la guitare distord les accords de l’hymne national, chacun ressent la distorsion de son ego américain. Maintenant complètement réveillés par les derniers accords de Hendrix qui clôturent le festival, tous se lèvent, et déjà conscients d’avoir participé à un rassemblement sans précédents et qui n’aura pas d’équivalent, les Aquariens se dispersent. Au contraire des immenses embouteillages provoqués par leur arrivée, leurs départs se fondent dans le trafic routier qui, chaque matin, converge vers les tours de Manhattan. Les hélicoptères sont ramené les artistes en ville, et déjà John Roberts et Joel Rosenman font face à leurs banquiers dans un bureau de WallStreet. L’immense majorité des Aquariens constitue désormais au sein de la société américaine la Nation Woodstock. Mais au fond d’eux-mêmes, ils ne peuvent oublier les 500.000 autres, encore prisonniers des bourbiers vietnamiens. Rentrés au pays les vétérans fuient à leur tour une société qui ne les reconnaît pas plus qu’ils ne la reconnaissent. Par rejet de leur passé, ils adoptent les cheveux longs et le bandana des peaceniks. Alors au lendemain du festival de Woodstock, combien seront-ils dans les rangs du million de marcheurs pour la paix qui investira Washington le 16 novembre 1969 ?



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