samedi 7 septembre 2019

1969 l'année de mes 16 ans (15) : Johnny Hallyday : Rivière..ouvre ton lit


    
    Bien souvent les yeux clos, je voyage dans un monde qui n’existe plus. Non pas un monde rêvé, mais un monde sublimé par la mémoire et le juge à l’aune du temps qui passe. La nostalgie pour un voyage au pays des vivants.

    Dans ces moments là, j'y retrouve au troisième étage du petit appartement à Bobigny, la fenêtre de ma chambre qui donnait sur les toits des pavillons de la rue d’Odessa, de la rue de Leningrad et de la rue Jean-Pierre Timbaud. De l’autre côté, depuis fenêtre de la cuisine, un rapide tour d’horizon montrait encore ce qui tenait lieu de village avant que des forêts de grues ne soient plantées dans le décor et que se dressent tours et bâtiments administratifs.

    Mon regard portait loin alors, jusqu’à la tour des imprimeries de la revue l’Illustration érigée en plein champs. Aux alentours presque rien, si ce n’est sur la droite les sinistres tours de Drancy qui mugissaient chaque premier jeudi du mois.

    A gauche les reliefs masqués de la ligne de chemin de fer menant à la gare de Bobigny. De l’été 1943 à l’été 1944, la gare de Bobigny, qui était alors une gare désaffectée de la grande ceinture, devint le lieu de déportation des Juifs détenus au camp de Drancy, situé à un peu plus de 2 km. Hommes, femmes et enfants y furent embarqués dans des convois de wagons plombés qui devaient les mener vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Mes parents ne m’en ont jamais parlé. Ni de la gare, ni de Drancy. Pas de devoir de mémoire.

    L’immeuble où logeaient mes parents est un immeuble de quatre étages, collé à l’est de ce qui était le canton de la Madeleine à quelques pas du pont de Bondy. Le rez-de-chaussée se composait de trois logements répartis de chaque côté du hall d’entrée. Passé une volée de marches vous trouviez sur la droite deux logements de deux pièces. L’un avec des fenêtres sur rue. L’autre avec des fenêtres sur cour. Celles sur cour donnaient sur un petit jardin privatif attribué aux locataires de ce logement. Le reste de la cour, séparé du jardin par une rangée de buis, servait à l’étendage du linge. Elle abritait une ancienne buanderie transformée en local à poubelles et deux petits cabanons. Celui au fond de la cour appartenait à mes parents. Ils y entreposaient le baril de mazout quand ils eurent abandonné le poêle à charbon pour un Airflam alors en vogue.

    Le logement situé au rez-de-chaussée gauche se trouvait être un peu plus grand que les deux autres, avec des fenêtres donnant chacune l’une sur la rue et l’autre sur la cour. Pour les étages, la configuration était identique du premier au quatrième étage. Un logement côté droit du palier Deux logements plus petit côté gauche d’une pièce, cuisine.

   Les deux logements du troisième étage côté gauche avaient été réunis à la demande de mon père. Je n’ai guère dans l’idée de quelle surface était ce logement. Les pièces en étaient petites. Ma chambre, par exemple, était occupée en majeure partie par un lit de 90 de large qui laissait juste la place pour y ajouter une carpette. A la tête de lit, moins d’un mètre avant la fenêtre et au pied du lit soixante centimètres avant la porte. Mais je possédais une chambre. Nos voisins avec quatre enfants étaient bien moins lotis. Les garçons et les filles tête-bêche dans des lits de fortune. Et des mômes ce n’est ce qu’il manquait en dépit du manque de place. Sur chaque demi-palier les toilettes à la turque pour deux appartements. Dans chaque appartement une salle de bain sur la pierre à évier entre l’assiette plate et l’assiette creuse.

    Je me souviens que de la fenêtre de la cuisine s’étalaient terrains vagues et maraichers. A mes pieds un carré de jardins ouvriers où des hommes en bleu de chauffe s’attelaient le soir pour y faire pousser quelques légumes. Au-delà « le champ de personne » comme l’écrira Daniel Picouly. Ce terrain vague abritera bien des cabanes et des jeux des bandes de mioches du quartier avant la naissance du groupe scolaire Auguste Delaune. Ainsi était Bobigny tel que je l'ai connu.

    Nous ne disposions que d'une chaine de télévision, avec une émission phare « Age tendre et tête de bois » devenue à partir de 1965 « Tête de bois et tendres années ». Cette émission était le pendant télévisé de «Salut les copains» que nous les jeunes, écoutions religieusement sur un poste à transistors. Emissions qui disparaitront hélas en 1968 pour « Têtes de bois et tendres années » et 1969 pour « Salut les copains ». La disquaire du marché Edouard Vaillant, souvent évoquée ici, était particulièrement bien achalandée en musique anglo-saxonne dont nous étions friands. Cependant cela ne nous empêchait pas d'écouter les chanteurs francophones dont Johnny qui fit fort en cette année 1969 avec son album « Rivière... ouvre ton lit » considéré comme l'un des albums les plus aboutis du chanteur. Les chansons "Rivière... ouvre ton lit", "Voyage au pays des vivants" et surtout "Je suis né dans la rue", devenus des classiques du répertoire d'Hallyday avant que je ne vogue au propre comme au figuré vers d'autres cieux.

Pourtant je dois bien reconnaître que Johnny à accompagné mon enfance et adolescence depuis 1962. Merci à lui.




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