samedi 26 janvier 2013

Le petit meunier



         Je ne parviens pas à trouver le sommeil sans l’aide d’un somnifère. On m’a dit que cela finirait bien par passer. Qu’avec le temps tout s’estomperait.  J'arrêterai donc un jour les somnifères et retrouverai le sommeil. La vie est bien faite.      
          Pour l’heure je passe mon temps avec mon frère.
        Les images qui s’imposent à mon esprit de façon consciente ou inconsciente sont la mémoire d’un souvenir. Pourquoi celles-ci plutôt que d’autres ? Je n’ai pas cherché à obtenir de réponse à cette question. Dès qu'elles s'imposent à mon esprit, deviennent des histoires inachevées qui offrent des variations infinies.
         La petite fille au côté du petit meunier était la fille d'un de nos voisins. Je ne l'ai jamais connu. Et je ne peux pas me souvenir de cette photo de mon frère et de la fille des voisins prise à l'école maternelle puisque je n'étais pas né.
        Par contre je me souviens de la Renault Caravelle  cabriolet à l'intérieur rouge. Je me souviens de ses pantalons peau de pêche taille basse. Je me souviens de son col roulé bleu marine. Je me souviens de sa paire de boots anglaise. Je me souviens du Gin Bombay Sapphire. Je me souviens de la statue D’Héraclès archer d’Antoine Bourdelle à l’entrée de l’Institut National du Sport où il étudiait. Je me souviens de la belle série de monographies sous emboîtage consacrée aux peintres impressionnistes. Je me souviens de l’appareil photo dans sa housse en cuir marron. Je me souviens de l’intrigante cellule à main photographique. Je me souviens des boites de « singe » déposées sur la toile cirée de la cuisine devant mes yeux ébahis. Je ne souviens de son blouson en velours côtelé vert bouteille retaillé pour moi, déchiré lorsque je l’ai étrenné la toute première fois. Je me souviens des heures passées à le regarder modeler et peindre les visages d’un étonnant réalisme des personnages d’Hergé. Je me souviens de l’album des Beatles « Magical Mystery Tour » offert à Noël. Je me souviens, un jeudi à la maison, son ami congolais et de son grand éclat de rire lorsque je lui ai frôlé du bout des doigts son avant bras. Je me souviens de mon premier album de Spirou. Je me souviens des plastrons de faux col roulé qu’il portait sous ses chemises. Je me souviens de son électrophone stéréo à ne toucher sous aucun prétexte. Je me souviens de la bande originale de « Lawrence d’Arabie » diffusée dans la salle à manger. Je me souviens de l’annonce de son mariage au Congo. Je me souviens l’avoir vu du haut du plongeoir de cinq mètres à la piscine en plein air à Noisy le Sec. Je me souviens des moutons qu’il voyait des fenêtres de son appartement à Salon de Provence. Je me souviens du mobilier contemporain et des ustensiles de cuisine de la marque Prisunic créés par de grands designers.  Je me souviens du club des Canetons à la Baule où il était maître nageur. Je me souviens de son aisance à nager interminablement vers le large. Je me souviens de tous les films vu avec lui cet été là. Je me souviens « Le Rapace ». Je me souviens « Alexandre le bienheureux ». Je me souviens de « La canonnière du Yang Tsé ». Je me souviens de « Casino Royale ». Je me souviens de « Grand Prix ». Je me souviens « Reflet dans un œil d’or ». Je me souviens de la petite location que nous partagions. Je me souviens du hameau des Vendrans au pied du Ventoux. Je me souviens des Demoiselles coiffées.  Je me souviens des livres d’Ian Flemming avec la silhouette de Sean Connery en couverture. Je me souviens des flancs du Ventoux calcinés. Je me souviens des Trois Chênes. Je me souviens de sa magnifique collection de porcelaine décorée à la main. Je me souviens du petit meunier.

1 commentaire:

Sophie a dit…

Ce texte est magnifique !
Quelle finesse dans cette évocation d'un monde disparu ...
Sophie(des Grigris)