mardi 6 décembre 2011

Les sables de la mer


"Weymouth, une ville imaginaire de la côte anglaise vers 1912, est le théâtre où John Cowper Powys met en scène une passionnante troupe de « pantins planétaires » : répétiteur de latin louvoyant autour des écueils de l’érotisme, prophète persécuté nimbé d’étranges lueurs mystico-grotesques, hommes d’affaires qui puise sa raison d’être dans les profondeurs de son coffre-fort, homme de la mer uni aux éléments par sa puissante vitalité, vierges folles, vierges sages, bien d’autres premiers rôles et nombre de figurants. Qu’on nous les montre sous un jour tragique ou cocasse, en proie à leurs rêves ou à leurs idées fixes, amarrés au quotidien ou entraînés vers un tournant entre tous marquant de leur vie, ces hommes et ces femmes se révèlent dans leur vérité la plus secrète. Aux fils de leurs jours s’entrecroisent les thèmes typiques de l’œuvre de John Cowper Powys : hantises de déviations sexuelles et mentales, extatiques communications entre l’animé et l’inanimé, le tout traversé de visions, de rumeurs et de souffles qui donnent à l’ensemble une prodigieuse ampleur cosmique orchestrée par le rythme inlassable, antédiluvien de la mer. Ce roman est abrupt, profond, sauvage, plutôt noir, strié par quelques rayons d’un blanc aveuglant. Parfois c’est l’érotisme lyrique qui domine, tantôt le chant d’une Émily Brontë qui aurait le culte de la mer. Sans cesse le visible et l’invisible se mêlent, le double visage du bienfaisant et du malfaisant, du personnel et de l’impersonnel où tout un monde animal et végétal se place. Tous les personnages sont l’écume, la lie et l’étoile qui naissent du pouvoir ignoré au fond du monde et nous font voir au travers et sentir l’insensible. C’est une communion avec le sel des larmes, avec la porosité de la joie, le défi suprême, l’ultime confiance qui vient à nous dans le privilège des instants et des instincts. Le refrain du galet et de l’algue reviennent toujours, symboles du père d’un des héros, de la présence de la mer parfois consolatrice, toujours dominatrice, souvent terrible. Les choses se rapprochent, s’éloignent, s’abaissent et montent, forment un écran entre le visible et l’invisible. De gros plans s’esquissent après les surimpressions métaphysiques et tout devient table de résonance. Comme chez Rimbaud, des extases naissent dans les sentes, les ornières. Des chants d’enfants éclatent au milieu des drames comme dans Shakespeare. Des règnes se découvrent, symboliques ou non : la virginité, l’innocence, la culpabilité, le sens du grotesque et du sublime. John Cowper Powys use de la technique des perspectives, de répétition, du jumelage, de la technique d’opposition. Il aime placer le lecteur au milieu de brumes qui représentent l’obscurité du chaos à partir duquel se forme le monde, mais de ces brumes et de ces cendres renaît l’âme des personnages. Est-ce le destin qui gouverne ?"
"Hanté par les êtres en proie à la cruauté diabolique des méthodes scientifiques modernes – victimes de la vivisection — et prenant la défense des bohémiens, des simples d’esprit qui posent des questions pénétrantes, l’auteur trace d’obscures ressemblances entre ses personnages. Un trait commun indéfinissable : un langage idéal, un désir latent, passionné, une instabilité, des impulsions fantasques. Presque comme des mystiques qui feraient offrande de leur âme à l’objet d’une adoration spirituelle qui les réunirait malgré eux, ils éprouvent des élancements intolérables qu’éveille le bonheur refusé. Une éthique profondément panthéiste imprègne les acteurs de Powys coincés entre compassion quasi christique pour tout ce qui vit, souffre, et le sadisme métaphysique. Un conflit puissant entre le rationalisme étriqué et l’empathie pour tout ce qui existe traverse la plupart de ses histoires. Culpabilité et chagrin gangrènent l’âme des protagonistes, mais aussi espoir et tendresse. C’est dans la relation au monde que Powys fonde sa mythologie, une relation impliquant un échange, pas seulement une soumission aveugle. Basculement parfois entre la volonté de contrôle sur les forces réduites à des objets et la soumission à ces mêmes forces qui réduisent le sujet à en être l’objet."
"Lire Les Sables de la mer c’est embarquer dans une extraordinaire odyssée dont l’on revient changé. balloté par « le flux et le reflux du cycle de l’univers, la systole et la diastole du Temps et de l’Espace » : « Et volant dans la direction opposée, comme s’il y avait eu entre ces nuages et eux une entente occulte, trois grands oiseaux migrateurs, dont bien peu d’habitants de l’Ile auraient su reconnaître l’espèce, passèrent au-dessus des cheminées de l’auberge avec de silencieux battements d’ailes. Sur toute la surface de la terre, à ces heures où le pouls de la vie bat le plus lentement, le moindre mouvement de la matière prend une importance impressionnante, devient significatif, s’apparente à la fatalité – tel un pas solitaire en un univers vaste et vide. »

"John Cowper Powys est né en 1872 dans le Derbyshire. Fils de pasteur, deux de ses frères, Theodore et Llewelyn, seront aussi des écrivains célèbres. Après des études classiques à Cambridge, il enseigne pendant dix ans en Angleterre puis, à partir de 1905, effectue aux États-Unis des tournées de conférences pour une association consacrée à la Propagation de la Culture. Vingt ans plus tard, il se retire dans les montagnes de l’État de New York, puis, en 1935, dans un village au nord du pays de Galles, où il meurt en 1963, laissant une œuvre immense d’essayiste, de romancier et de poète. Salué comme un génie par certains (Miller notamment), il sera toujours très controversé. En 1934, la parution de son Autobiographie connaitre un grand retentissement."

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