vendredi 23 décembre 2011

Entretien avec Axel Corti & Georg Stefan Troller



Extra i ts d’un e n tret i e n a vec Ax e l Corti paru dans l a revue Pos i t i f  e n  n o vembre  1 9 8 6
 
Avant Welcome qu'avez vous réalisé ?
 
J’ai fait entre autres deux films avec Georg Troller, le scénariste de Welco me in Vienna.


L’un qui cherche à suivre tous les chemins qui mènent à Hitler, à retracer la genèse

et la jeunesse du nazisme, ses sources jusqu’en 1914, jusqu’à l’explosion de la guerre.

Avec Georg, on a cherché les influences, traqué l’antisémitisme catholique autrichien.

C’est Hitler, un jeune homme originaire de l’Innviertel. Ensuite on a fait la même chose

pour Freud. Le film s’appelle Le Jeune Freud. Après coup, nous nous sommes dit que

nous avions parlé sans l’avoir voulu des deux autrichiens qui ont le plus influencé ce siècle.

Après ces deux films, les producteurs voulaient que l’on continue ensemble avec d’autres

personnages historiques, Mussolini par exemple. Je n’avais plus envie de faire de films

biographiques. Alors j’ai dit à Troller : « Écris quelque chose de toi-même, qui vienne de

l’intérieur. » Et il m’a mal compris, comme il m’avait beaucoup parlé de sa jeunesse, comme

il m’avait raconté son histoire, il a cru que je voulais qu’il écrive un film sur lui-même, alors

que j’attendais qu’il l’invente.

C’est ainsi qu’il a écrit An uns glaubt Gott Nicht mehr / D ieu ne croit plus en nous

dont le titre est tiré d’un poème de Franz Werfel, l’auteur des « Quarante jours du Musa Dagh »,

le premier volet de notre trilogie.

Le premier film se passe aux trois-quarts en France, il parle de la situation des émigrants

en France. Il commence en 1938 en Autriche, puis c’est la Tchécoslovaquie et, après

l’arrivée d’Hitler à Prague, la France et les camps d’internement, à Paris et dans la zone

non occupée quand les allemands entrent dans la capitale. Cela devrait être intéressant

pour le public français car c’est très près de son histoire. Le film a été un très grand succès

en Autriche, mais aussi en Allemagne et en Suisse, mais n’a pas été distribué en France.

Nous avons eu envie de faire une deuxième et une troisième partie. Avec l’argent que j’ai

réuni, j’ai réussi à faire les deux films à la fois. C’est-à-dire que j’ai fait des acrobaties

incroyables pour tourner ensemble la deuxième et la troisième partie. D’abord, c’était

l’Amérique – bien sûr qu’on a filmé à Vienne – parce que SANTA FE, notre deuxième volet,

se passe presque entièrement à New York. Puis c’était Vienne pour WELCOME IN VIENNA.

On tournait trois jours l’un, puis on passait à l’autre. Et ainsi de suite. C’était la même

époque, le même climat.
 
Quelle a été la part de l’Autriche dans le nazisme ?


Lors de la Conférence de Moscou de 1943, les Alliés ont décidé que l’Autriche était la

première victime d’Hitler. Eh bien ! D’un côté c’est vrai, mais de l’autre, cette victime

avait les bras bien ouverts quand Hitler est arrivé. Pas tout le monde. Bien sûr, beaucoup

d’autrichiens n’étaient pas des nazis. Beaucoup furent tués. Mais beaucoup aussi étaient

des nazis. Et dès avant 1938. Ce n’est pas un hasard si de nombreux chefs de camps de

concentration, des gens assez primaires, étaient des autrichiens, nazis illégaux avant 1938.

(Ce sont ces nazis qui ont tué Dollfuss en 1934.) Ils étaient en prison ou bien, s’étant évadés,

ils avaient gagné l’Allemagne, accueillis comme des héros, intégrés tout de suite dans les

S.S. où ils ont fait des petites carrières. Après 1945, les autrichiens ont dit : « N ous sommes

libérés. Les nazis, c’étaient les allemands. » Ils ont soulevé le tapis et ont mis toute la boue

dessous. Elle y est encore aujourd’hui. Seulement les bosses deviennent un peu hautes ça

et là… Et nous sommes un certain nombre à trébucher dessus. C’est pour ça que je raconte

cette histoire. C’est l’histoire de mon pays.

Et je trouve que ces films ne sont pas une histoire didactique, ni une histoire journalistique

à mettre à la une pour faire la morale. Je raconte une histoire d’êtres humains. Je trouve

que cette situation de refoulement, comme on le dit chez Freud, est insupportable, qu’on

ne peut la laisser ainsi.

Et comment a été accueilli le film en Autriche ?

La population a incroyablement réagi au film. Il y a eu des bagarres… Il y a eu des réactions

contre, pas beaucoup mais quelques-unes, rien dans les journaux, à la télévision ou à la radio.

Et je trouve que ces films ne sont pas une histoire…
 
Entre tien avec Georg Stefan Troller, scénariste
 
Quelle est la part autobiographique de ces trois films ?


Ils sont tous autobiographiques. Il est évident que nous avons fait des changements parce qu’un

film diffère toujours un peu de la réalité. Mais de manière générale, il s’agit à 70 ou 80% de ma vie.

Je pensais que grâce à des mots, des phrases que j’ai utilisées, les gens qui les avaient écoutées

ou prononcées se mettraient en rapport avec moi… Mais rien… Pas un seul, bien que je les ai

nommés souvent par leur propre nom, ne m’a appelé...

Quelle était votre démarche ?

Il était important pour moi de montrer des gens ordinaires, pas des célébrités, pas de grands

intellectuels : des personnes « comme tout le monde ». Et de les montrer comme des êtres

humains aussi héroïques et aussi bêtes que tout le monde parce que c’est ça, pour moi, le sens

de cette histoire. On n’était personne, à la fois pour les autorités en France ou aux Etats-Unis,

mais aussi pour les gens qui nous entouraient. On n’était rien, on était sans importance.

Ce que je voulais faire ressentir au spectateur c’était l’ironie du sort, de notre sort. Rien n’avait

de sens.

En France, on nous considérait comme des parasites qui prenaient toute la nourriture

bien qu’on mangeait très peu, qui prenaient le travail des autres, bien que c’était strictement

défendu d’avoir un emploi !!!

Pour moi, l’un des personnages qui illustre le mieux cette « ironie », c’est Gandhi

(Armin Mueller-Stahl) qui n’était même pas juif, ni communiste non plus. Il se désignait comme

un aristocrate déchu qui, par haine du nazisme avait fuit l’Allemagne.

Comme beaucoup d’allemands réfugiés, il s’est d’abord fait arrêter par de jeunes français

qui le considéraient comme un espion allemand, puis il a été livré au début de l’Occupation

par les autorités françaises aux allemands comme ennemi d’état. Il en est mort. J’aimais

beaucoup Gandhi.

L’ironie dans toute cette histoire de transfuges, c’est le sentiment dominant qui m’en est resté.

Rien n’avait de sens, plus rien ne correspondait à une réalité quelconque. Par exemple, il fallait

un visa de sortie de France, alors que les français n’avaient qu’un seul désir : vous pousser

en-dehors des frontières. Dès que les allemands étaient en France, il fallait un visa de sortie,

bien que ce dernier fût presque impossible à obtenir.

Les premières semaines, nous, les réfugiés, étions dans un camp d’internement à côté
 
de Boulogne, ensemble avec l’équipage d’un paquebot allemand qui avait été arrêté au Havre.


C’étaient tous des nazis ! Mais les autorités françaises du camp préféraient de loin les nazis

à nous. Ils ont été renvoyés en Allemagne pour compléter l’équipage de leur flotte sous-marine.

On rendait à l’Allemagne des ennemis dangereux tandis qu’on nous gardait en détention,

nous qui n’avions qu’un seul désir : nous battre pour la France.

Alors, on s’est échappé, Gandhi et moi. Mais nous avons vite été rattrapés par les allemands

qui envahissaient la France. On a fait de l’autostop et c’est un motocycliste de l’armée allemande

qui s’est arrêté pour me prendre. J’ai prétendu être un civil allemand et non un réfugié juif

bien sûr. J’ai eu tellement peur que j’ai dit au soldat : « E coute camarade, tu peux m’attendre

une minute, je dois juste faire mon besoin dans ce bois là-bas… » J’y suis allé et j’ai déchiré tous

mes papiers par peur qu’on me rattrape.

Après, bien évidemment, je n’avais plus aucun papier. C’était une situation atroce.

On me demandait : « Pourquoi vous n’avez pas de papiers monsieur ?». L’ironie c’est le sentiment

qui s’est insinué alors en moi et qui ne m’a plus quitté.

Dans cette première partie, on voit un camp d’internement en France pour étrangers.

C’est une chose qui est assez méconnue en France et c’est même, à ma connaissance, la seule

fois où l’on voit au cinéma un de ces camps d’internement. Dans quelles conditions avez-vous

été interné dans ce camp et quelle était votre vie pendant ces 9 mois ?

Nous étions allés à Boulogne-sur-Mer, car nous avions un visa pour l’Uruguay.

On nous avait dit, à la préfecture de Paris : « I l faut aller dans un port pour attendre un bateau

qui vous amène en Amérique du Sud ». Il n’y avait plus de bateau bien sûr. Mais il fallait aller

à Boulogne-sur-Mer, ou à Ambleteuse à côté, car c’était moins cher.

La guerre éclate ; le maire nous dit alors : « M on Dieu, vous êtes des gens convenables,

vous ne courrez aucun danger ».

Deux jours après, il y avait de grandes affiches avec le message suivant : « Tous les étrangers

munis d’une couverture, avec de la nourriture pour deux jours doivent se présenter... ».

Tous les étrangers, notamment les hommes (depuis Napoléon, les femmes ne sont pas

dangereuses, ne comptent pas, ce sont les hommes seulement).

Alors, j’ai fait cinq de ces camps d’internement dans le Nord : à Hesdin, à Boulogne,

à Ambleteuse, les autres je ne m’en rappelle pas… C’étaient les bâtiments de colonies

de vacances, d’usines ou encore des casernes toujours sales. On était toujours 5, 6, 7, 20, 30

dans une seule pièce. Il y avait toujours de la paille pourrie, mais aucune radio, aucun livre,

aucun journal.

On a même été forcé de rendre nos montres parce qu’on aurait pu donner des signaux aux

Stuka allemands pour leur dire « Attention c’est ici qu’il faut lâcher les bombes ! ». Cette idiotie

des gens qui ne pouvaient pas comprendre qui on était... Ils s’en fichaient d’ailleurs qu’on n’ait

jamais assez à manger, qu’on ne puisse pas recevoir de courrier. Tout était défendu !

On nous a parlé pendant neuf mois d’une commission rogatoire qui allait nous libérer, et séparer

les vrais nazis des réfugiés. Elle ne s’est jamais réunie, cette commission. Pendant neuf mois,
 
on nous disait : « La commission arrive, elle arrive ». Rien. Et ensuite l’armée allemande est


arrivée et nous nous sommes évadés.

On a fui, contrairement aux « braves gens » - j’entends par là, la plupart des internés

qui sont restés dans le camp parce qu’ils ne savaient pas quoi faire. Ils n’étaient pas aventuriers

comme nous. Ces braves gens, on les a envoyés à Auschwitz.

Qui étaient ces internés exactement ? Etaient-ils principalement issus d’Allemagne ?

C’étaient presque tous des réfugiés, il y avait aussi quelques communistes et des pauvres

allemands ou polonais qui travaillaient dans les mines ou qui étaient ouvriers… Et qu’on a raflés

comme ça.

Quand vous décidez de quitter l’Autriche après la nuit de Cristal, pourquoi partez-vous en

France et non en Amérique du Sud, aux Etats-Unis ou en Palestine mandataire ?

Tout le monde fuyait comme il pouvait. Nous sommes d’abord allés à Prague, puis à Brno

et de nouveau à Prague. Pour aller en Uruguay, il fallait partir du Havre, ou de Bordeaux

je ne me rappelle pas. En tous cas, il fallait aller en France. On est passé par l’Italie, puis on a

rejoint Paris. On avait, après tout, ce fameux visa pour l’Amérique du Sud ! Avec ce visa, on pouvait

entrer en France en prétendant être tout prêt à partir pour l’Amérique du Sud. Malheureusement

il n’y avait pas de bateau, ce n’était pas de notre faute.

Ainsi, nous sommes venus en France. Mais la France, c’était tout de même le pays qui nous était

le plus proche, n’est-ce pas ? Spirituellement, intellectuellement… Ce n’était pas l’Angleterre,

ce n’était pas l’Amérique. Notre référence c’était la France. C’était tout de même un pays

démocratique, un pays qui avait déjà accepté pas mal de réfugiés, un pays où il y avait un congrès

pour la liberté d’esprit…Un pays traditionnel où la tolérance vis-à-vis des étrangers existait.

Mais bien sûr, on avait dans l’idée de rejoindre finalement l’Angleterre ou l’Amérique. Mon

frère,par exemple, est allé en Angleterre. Il est devenu un soldat anglais. On s’est rencontré en

Allemagne à la fin de la guerre, lui soldat anglais et moi soldat américain. Très drôle !

Comment vous êtes-vous procuré un visa pour partir aux Etats-Unis? Et comment s’est

déroulée la traversée de l’Atlantique ?

Nous avions réussi à rejoindre la zone libre. On vivait à Pau, en Basse-Pyrénées, fin 1940

début 1941. Mon père était à Marseille pour préparer les visas de sortie, les passeports. Quant

au visa américain, on avait déjà fait la queue toute la nuit à Vienne pour obtenir le numéro

de quota. Celui-ci était des plus importants car les américains avaient un quota minimum pour

les réfugiés européens.

Il existait des pays où n’importe qui pouvait émigrer tout de suite - comme l’Angleterre.

Et des pays pauvres comme pour nous où il fallait attendre des années. Cela faisait finalement

deux ans que nous attendions d’avoir la chance d’obtenir un visa. Mais nous n’avons pas réussi.

Mes parents, mon père s’étaient pourtant battus.

Puis finalement, il m’a dit : « Viens à Marseille, prends le train et on va se débrouiller à

deux ». Je suis arrivé à sa chambre d’hôtel. Il y avait un papier sur sa table de nuit indiquant :
 
« J’ai été raflé, je suis en prison, va voir telles personnes dans tels cafés». J’étais alors sans


père, tout seul à 17-18 ans… Mais ce n’était pas vrai. Il n’avait pas été raflé. Il avait juste imaginé

tout ça au cas où j’aurais été raflé. Car les rafles étaient fréquentes à Marseille.

Il fallait faire la queue… C’était l’enfer. Finalement, j’ai réussi à avoir une entrevue avec

le consul qui a regardé mon numéro de quota et m’a dit :

- « Avec ça, vous allez émigrer en l’an 2200. Mais vous avez quel âge ? »,

- « 18 ans »,

- « Très bien ! L’Amérique a besoin de soldats supplémentaires. Trouvez-moi le numéro

de quota d’un con, d’un vieux schnock quelque part dont on n’a pas besoin …».

Pendant une seconde, j’ai vu la secrétaire sortir, parmi une pile de milliers de papiers, la photo

d’un vieux avec une barbe. Et voilà !

Ce qui est très frappant dans la deuxième partie, dans SANTA FE, c’est que l’Amérique est

présentée comme un grand pays d’accueil pour l’immigration, comme une terre promise

pour beaucoup d’entre vous. Dès que vous foulez le sol américain, la réalité est d’autant

plus difficile et douloureuse.

Les américains se fichent de votre accent. Tout le monde a un accent. Tout le monde vient

de quelque part. Tout le monde est étranger. C’est déjà un avantage ! En France, je ne sais

jamais quoi répondre quand on me demande : « d’où est-ce que vous venez ? Qu’est-ce que

vous êtes ? » Je n’en sais rien. L’Autriche je l’ai quittée à 16 ans.

Et voilà ! L’Amérique est entrée en guerre et je suis devenu soldat.

Etre un soldat, pour moi, c’était très important ! Il y avait des copains. Pour la première

fois on était parmi d’autres. Alors, j’ai plus ou moins aimé la guerre.

Dans SANTA FE, dans la communauté d’immigrés dans laquelle évolue votre personnage,

on voit un professeur de médecine qui n’arrive pas à trouver de travail ; un acteur qui arrive

à en trouver en imitant des chiens à la radio puis finalement en partant à Hollywood, on voit

ce photographe qui pense toujours que son téléphone va sonner pout lui proposer du travail…

Avez-vous croisé de tels personnages ?

Bien sûr, il y a l’intellectuel qui a perdu les mots et ne peut plus écrire car il peut seulement

écrire en allemand. Il a bien évidemment perdu sa langue natale.

Je viens d’écrire un long article là-dessus : l’auteur immigré qui perd sa langue natale, croit qu’il

ne peut pas écrire dans une autre langue et finit par s’adapter. A titre d’exemple, il y eu Joseph

Conrad, Ionesco… Mais moi, je ne les ai pas connus. J’ai seulement connu les gens qui perdaient

leur langue natale et pour qui c’était une tragédie énorme.

La femme qui ne peut pas aimer, le médecin qui ne trouve pas de boulot, l’intellectuel

qui en vient à vendre des salamis je crois… Oui je les ai tous connus. Les anciens professeurs,

les anciens médecins, les anciennes célébrités, les anciens acteurs qui n’avaient plus

rien, qui étaient seulement compréhensibles dans leur propre langue, dialecte ou argot.

Oui je les ai connus. Et ça, c’est une des choses qui reste gravée pour toujours : la perte d’identité
 
La situation dans la vie que vous aviez, quand vous la perdez, vous perdez votre identité.


C’est surtout ça l’immigration. Et pourtant ce type qui voyage, il est devenu moi, mais ce n’était

pas moi. J’ai été un autre.

Nous autres, on s’est perdu nous-mêmes.

Les trois films sont tournés en noir et blanc, pour des raisons, je pense, évidente de réalisme…

Axel a voulu y mettre des plans documentaires. J’étais d’accord avec cela, j’ai trouvé ça bien.

Comment est-ce que les films ont été accueillis en Autriche ?

Ca a été un très grand succès en Allemagne et en Autriche, une expérience formidable ! J’ai vu

l’affiche, à Vienne, je suis allé voir le film et je me suis confronté à la réaction du public. C’était

une expérience énorme ! Il y en avait beaucoup qui ne connaissaient rien de tout cela. Il y a eu

des larmes et des silences énormes. Le public a adhéré. Et moi, j’étais inconnu, complètement

inconnu, personne ne savait que j’étais l’auteur ou que j’étais le personnage principal.

Et voilà, les choses que j’avais dévoilées sur ma vie, les choses que j’avais entendues, qu’euxmêmes

ont dites, ont faites… que ce soit le public, leur père ou leur grand-père…

Que savaient les autrichiens de vous au moment où sont sortis ces films ?

Rien, nous étions complètement oubliés ! Mon père, qui avait tout de même un grand magasin

spécialisé dans la fourrure, s’en souvenait. On faisait partie d’une société juive autrichienne.

Mais les juifs étaient partis, disparus. La plupart des gens qu’on avait connus à ce moment-là

étaient décédés.

Mais j’étais tout de même étonné qu’on soit à ce point oublié, que personne ne vienne m’écrire,

me voir ou me téléphoner. Mon père avait une grande société, c’était une personnalité,

mais personne ne connaissait plus ce nom-là.

Quel était votre sentiment vis-à-vis de l’Autriche et des autrichiens?

Je n’ai pas voulu que ce soit un film en noir et blanc qui montre des juifs héroïques tout beaux

et des autochtones tout salauds. Tout est gris, gris comme la nature humaine. Tout le monde

est tout. Tout le monde peut tuer. Tout le monde peut être un héros. J’ai voulu montrer que ce

pays et cette ville de Vienne m’avaient façonné.

Qu’est-ce qui, selon vous, a poussé Axel Corti à tourner ces films ? Ce n’est pas évident

pour un cinéaste autrichien de s’attaquer à ce passé. C’était un grand tabou en Autriche et ça

l’est encore, donc c’était extrêmement courageux de sa part.

Absolument ! Son père a été tué par les nazis. C’était une grande famille aristocratique,

sa femme est comtesse. Elle s’occupe maintenant des SDF en Autriche. C’était un grand

couple. Lui était formidable. Bien sûr on a toujours dit : « I l a fait ça parce qu’il était juif »,

mais il ne l’était pas du tout, pas du tout.

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