mercredi 31 août 2016

Jean-Paul Dubois - La succession




Présentation de son roman "La succession" par Jean-Paul Dubois à la librairie Mollat à Bordeaux






« Un jour, tu finiras par prendre ma succession », lui avait dit son père dans un dernier message daté de 1983. Quatre ans plus tard, celui-ci est retrouvé écrasé, au pied d'un immeuble de huit étages, le visage emmailloté de ruban adhésif, mâchoire et lunettes scotchées serré, comme s'il avait voulu voir jusqu'à l'ultime instant. Et ne pas crier. Cette image à la Jérôme Bosch, grotesque et effrayante, est au centre du nouveau roman de Jean-Paul Dubois, elle l'irradie, masque hideux de la mort, « masque de pitre, de piètre père ». On rit pourtant aux aventures de ce énième avatar de l'auteur, le Toulousain Paul Katrakilis, médecin comme son père et son grand-père, réfugié à Miami où il vend, pas très cher, ses talents de joueur de pelote basque à une boîte de paris sportifs.

Jean-Paul Dubois a l'oeil et le verbe acérés, un sens aigu du dérisoire de l'existence. Et l'on s'attache à ce personnage fondamentalement intranquille qui tente désespérément de jouir de la beauté du monde et de l'instant — la lumière d'un petit matin sur la mer ou le regard énamouré d'un chien — dont Dubois sait si bien faire vibrer la grâce et la fragilité. « Je prenais chaque jour comme un bonheur simplifié », écrit le narrateur qui va pourtant devoir s'arracher de cette vie pour retrouver, à la mort de son père, la grande maison familiale et ses fantômes délétères : un grand-père, ancien médecin de Staline émigré en France avec, dans ses bagages, une lamelle du cerveau du « petit père des peuples » et une mère qui ne s'est jamais séparée de son frère, même une fois mariée. Tous ont volontairement quitté « le théâtre avant la fin de la pièce ».

On rit et on pleure de tout cela, une fois encore, sans savoir si l'auteur invente ou s'inspire de la fantaisie du réel et l'on apprécie hautement l'exercice de funambule entre légèreté, cocasserie et gravité. Le roman pourtant semble grignoté par la nuit, plus sombre que les précédents, profondément mélancolique. Décidément marqué par le masque de Scotch rougi qui brûle en son centre.

Michel Abescat pour Télérama

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