Au sortir du théâtre Edouard VII en 1981, j'étais rentré la tête bourdonnante de l'excellente soirée que j'avais passé avec Ferdinand, son pote Robert, sa sœur Isabelle, madame Colomer, son professeur de théâtre Micheline Galiard et Bruno Gaillardini son élève favori. Sans oublier De Gaulle, Sartre, Mauriac, Malraux, Johnny, Roger Lanzac, Gaston Defferre et François Billoux son opposant politique et surtout,surtout, la pièce maîtresse du spectacle, le double imaginaire de la mère de l’auteur qui mène tout le monde, et jusqu'à la représentation elle-même, à un train d’enfer, sous sa férule impitoyable, son imagination débordante et son bagout intarissable.
Tous ces amis rencontrés pour la première fois ce soir là, le sont restés longtemps, même lorsque la vie nous avait happé ailleurs. Des amis auxquels je pensais parfois avec ce désir sans cesse repoussé d'aller les retrouver à Marseille.
Alors imaginez mon émotion lorsque j'ai appris que Ferdinand passait par Paris. Putain con ! Trente trois ans sans se voir et vlan pan crac ! Le choc des retrouvailles.
Je suis monté à la capitale pour cette soirée immanquable. L'Athénée Louis Jouvet à deux pas du théâtre Edouard VII un peu comme un symbole. Je me suis retrouvé sur mon petit fauteuil d'orchestre dans cette jolie petite salle parisienne au charme suranné à attendre les invités.
Impatient, j'étais arrivé un peu trop tôt. La salle au trois quart vides. Ça et là quelques têtes chenus, puis à la sonnerie annonçant le début du spectacle les fauteuils occupés un à un par un public que j'ai jugé d'un âge avancé, pas trop, mais certain. Une soirée troisième âge. Il y avait bien quelques jeunes. Des adeptes de danses sataniques qui s’étaient gourés de spectacle, des enfants sollicités par leurs parents afin de rendre une petite visite de courtoisie à un vieil ami perdu de longue date. Un vieil ami ! Un peu comme moi qui avec mes soixante deux ans ne dépareillait guère avec le reste des spectateurs. Pauvre con ! Que je me suis dit in-petto. Tu as vu ta gueule ! Toi aussi tu as pris de l'âge, tu as forci, ton poil est blanc, ta couille est molle et ta vue est basse. Pauvre de toi! Alors ferme-là un peu et écoute, ça commence. Noir.
Et le voilà Ferdinand que je retrouvais enfin avec la même émotion, le même frisson, la même exaltation que jadis et un texte qui soudain atteignait l'universel parce-que tout le monde pouvait se reconnaître au-delà des générations, dans ces années 50 et 60 qui furent les années d'apprentissage de Ferdinand et sont aussi les nôtres.
Époustouflant Caubère qui virevolte, cabriole comme une personnage de Comedia dell'arte dans un spectacle physique (3 heures), qu'il joue peut-être avec moins d'aisance que par le passé, mais un Caubère exalté, redoutable, impudent, magistral qui nous ensorcelle. Un Caubère qui trente trois ans après la création de cette "Danse du Diable" bouleverse encore et toujours son auditoire.
Et le public conquit pleure de rire, applaudit à tout rompre ce roi de théâtre, cet ami retrouvé.
«Qu'est-ce que le bonheur ?» s'interrogeait Ferdinand dans un devoir de français. Le bonheur, Ferdinand, c'est d'aimer passionnément ce que vous faites avec talent depuis toujours et de donner autant de plaisir à ceux qui vous aime.
Le bonheur c'est cette "Danse du Diable" au théâtre Athénée Louis Jouvet jusqu'au 7 décembre 2014. Un bonheur fou !
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