Les langes de mes ainés fraichement repassés dans l’armoire, j’étais attendu avec impatience pour le premier trimestre 1953. J’ai déjoué les statistiques en shootant les ovères de ma mère question de voir la neige à Noël.
Mes frères dans leur chambre, mes parents passaient une soirée tranquille en écoutant un programme musical au poste T.S.F. Un festival de joie, de gaieté, de couleurs, de senteurs et de bonne humeur, avec entre autres « Toi ma petite folie » chanson interprêtée par Line Renaud, « La Sardane » par Charles Trénet et « la route fleurie » de Georges Guétary. Que du bonheur !
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Pourquoi tant de nostalgie vis à vis du passé ? Dans cette banlieue Rouge où j’ai vécu jusqu’à mes 17 ans, ma vie de famille n’était pas des plus reluisantes. Les minuscules trois pièces sans salle de bain et les W.C sur le palier, étaient le témoin de longue après-midi d’ennuie et de solitude. Les murs laissaient filtrer les râles de plaisir tout autant que les engueulades des voisins. Ma scolarité fut tout aussi médiocre que ma sexualité. De quinze à dix sept ans il y a eu cette bouffée d’espoir vite étouffée quand le Général a fait rentrer tout le monde dans le rang. Puis la fuite de l’homoncule vers le néant. Pourtant ce sont ces années qui ont fait bien malgré moi ce que je suis devenu aujourd’hui. Que ne donnerais-je pas pour revoir certains camarades avec lesquels j’ai fait les 400 coups, retrouver mes vieux albums de Tintin et Spirou, Revolver des Beatles et mes autres vinyles sans compter la flopée de 45t, les Dinky Toys sans pneus, enlevés pour jouer au saut de puces ce qui me valut une trampe mémorable, le premier cinéma, le premier baiser, la première fois, les autres fois, la Gauche de plus en plus gauche au fil des ans, les manifs, la contestation, le monde à refaire, en bref retrouver le vrai passé de dans le temps à l’ancienne. Sacré passé, tu nous enseignais, le vrai, le bon, le durable, l’authentique. Aujourd’hui tout n’est que désillusion, commémoration et inauguration du musée d’hier. Pourtant, aujourd’hui, je m’ennuie tout autant qu’hier. L’insouciance en moins, peut-être même encore plus qu’hier mais certainement bien moins que demain. J’ai donc hâte d’être à demain pour regretter amèrement aujourd’hui. Cela s’appelle la nostalgie.
Quoi qu'il en soit, emballé par le rythme endiablé de Georges Guétary j’ai dû crever la poche. Oups ! Tout le liquide amniotique sur le tapis et ma mère de grommeler : « Pas encore né, déjà fait chier ! » tandis que papa empoignait la valise d’une main et ma mère de l’autre pour filer à la clinique.
« Prenons la route fleurieui conduit vers le bonheur!
Suivons-la toute la vie.
Main dans la main,
Coeur contre coeur... »
La route fleurie le 11 décembre 1952 était plutôt verglacée avec vingt centimètres de neige dessus. Dans la montée vers Villemomble le chauffeur à perdu le contrôle du véhicule et le bus 105 chargé de ses voyageurs s’est mis de biais au beau milieu de la route fleurie. De quoi faire accoucher prématurément les plus réfractaires. Il a fallu finir à pied. Surtout mes parents.
« Partons, ne perdons pas un seul instant
Partons, la joie de vivre nous attend
Chaque fleur dans la prairie,
Chaque oiseau au fond des bois
Chante la route fleurie
Que nous suivrons vous et moi. »
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