l’écriture pour dire ce qu’est être une femme… À 82 ans, Annie
Ernaux reste révoltée. Elle vient de recevoir le Prix Nobel de
littérature 2022.
L'ensemble de son œuvre présenté ci dessous.

Les armoires vides 1974
"Ça suffit d'être une vicieuse,
une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des
copines de classe, légères, libres, pures de leur existence...
Fallait encore que je me mette à mépriser mes parents. Tous les
péchés, tous les vices. Personne ne pense mal de son père ou de sa
mère. Il n'y a que moi." Un roman âpre, pulpeux, celui d'une
déchirure sociale, par l'auteur de La place.
Ce qu'ils disent ou rien 1977
" Ca ne vaut plus le coup d'avoir
mes règles. Ma tante a dit : t'as perdu ta langue, Anne ? t'étais
plus causante avant. C'est plutôt la leur de langue que j'ai perdue.
Tout est désordre en moi, ça ne colle pas avec ce qu'ils disent ".
Histoire d'une adolescente comme les autres, qui cherche à
communiquer, à comprendre. Mais rien, dans le langage de ses
parents, de l'étudiant qu'elle a rencontré, dans les mots des
livres même, ne coïncide avec la réalité de ce qu'elle vit et
elle se trouve renvoyée à la solitude.
La femme gelée 1981
Elle a trente ans, elle est professeur,
mariée à un "cadre", mère de deux enfants. Elle habite
un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée.
C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti
l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se
figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le
bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit
être la condition "normale" d'une femme.
La Place 1983 Prix Renaudot
il n'est jamais entré dans un musée,
il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel
pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa
fille, grâce aux études, serait mieux que lui. Cette fille, Annie
Ernaux, refuse l'oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort
de celui qui avait conquis sa petite " place au soleil ".
Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle,
étudiante, et ce père aimé qui lui disait : " Les livres, la
musique, c'est bon pour toi.
Moi, je n'en ai pas besoin pour
vivre ". Ce récit dépouillé possède une dimension
universelle.
Une femme 1987
Annie Ernaux s'efforce ici de retrouver
les différents visages et la vie de sa mère, morte le 7 avril 1986,
au terme d'une maladie qui avait détruit sa mémoire et son
intégrité intellectuelle et physique. Elle, si active, si ouverte
au monde. Quête de l'existence d'une femme, ouvrière, puis
commerçante anxieuse de "tenir son rang" et d'apprendre.
Mise au jour, aussi, de l'évolution et de l'ambivalence des
sentiments d'une fille pour sa mère : amour, haine, tendresse,
culpabilité, et, pour finir, attachement viscéral à la vieille
femme diminuée.
"Je n'entendrai plus sa voix... J'ai perdu
le dernier lien avec le monde dont je suis issue."
Passion simple 1992
"A partir du mois de septembre
l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un
homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne me voir chez moi",
A.E.

Journal du dehors 1993
"De 1985 à 1992, j'ai transcrit
des scènes, des paroles, saisies dans le R. E. R., les hypermarchés,
le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis. Il me semble
que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens
qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en
déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur." Annie
Ernaux.
Je ne suis pas sortie de ma nuit 1997
"Ma mère a été atteinte de la
maladie d'Alzheimer au début des années 80 et placée dans une
maison de retraite. Quand je revenais de mes visites, il fallait que
j'écrive sur elle, son corps, ses paroles, le lieu où elle se
trouvait. Je ne savais pas que ce journal me conduirait vers sa mort,
en 86." Annie Ernaux.
Le honte 1997
J'ai toujours eu envie d'écrire des
livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le
regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter
l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé
dans ma douzième année.
L'événement 2000
"Depuis des années, je tourne
autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit
d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni
pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en
sensation violente. De la même façon entendre par hasard La
javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui
m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse." Annie
Ernaux
La vie extérieure 2000
Relisant ces pages, je m'aperçois que
j'ai déjà oublié beaucoup de scènes et de faits. Il me semble
même que ce n'est pas moi qui les ai transcrits. Ce sont comme des
traces de temps et d'histoire, des fragments du texte que nous
écrivons tous rien qu'en vivant. Pourtant, je sais aussi que dans
les notations de cette vie extérieure, plus que dans un journal
intime, se dessinent ma propre histoire et les figures de ma
ressemblance.
Se perdre 2001
"[...] Je n'ai jamais rien su de
ses activités qui, officiellement, étaient d'ordre culturel. Je
m'étonne aujourd'hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je
ne saurai jamais non plus ce que j'ai été pour lui. Son désir de
moi est la seule chose dont je sois assurée. C'était, dans tous les
sens du terme, l'amant de l'ombre. [...] J'ai conscience de publier
ce journal en raison d'une sorte de prescription intérieure, sans
souci de ce que lui, S., éprouvera.
À bon droit, il pourra
estimer qu'il s'agit d'un abus de pouvoir littéraire, voire d'une
trahison. Je conçois qu'il se défende par le rire ou le mépris,
"je ne la voyais que pour tirer mon coup". Je préférerais
qu'il accepte, même s'il ne le comprend pas, d'avoir été durant
des mois, à son insu, ce principe, merveilleux et terrifiant, de
désir, de mort et d'écriture." Annie Ernaux
l'occupation 2002
"J'avais quitté W. Quelques mois
après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a
refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée
dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé
de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette
occupation que je décris." Annie Ernaux.
L'usage de la photo 2005 en
collaboration avec Marc Marie
Souvent, depuis le début de notre
relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la
table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements
emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en
faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent. Je me
demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus
tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme.
Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de
vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène
pour moi de photographier le sexe de M. Peut-être aussi ne
pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de
ma vie.
Les années 2008 Prix Marguerite Duras,
Prix François Mauriac
"La photo en noir et blanc d'une
petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En
fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes
robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le
rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant.
Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans
le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans
Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps
humiliant et sans importance de petite fille.
Au dos : août
1949, Sotteville-sur-Mer." Au travers de photos et de souvenirs
laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux
nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à
aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme
nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.
L'autre fille 2011
Mais même le silence contribue à
forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte.
Car forcément, elle joue un rôle dans l’identité de l’auteur.
Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des
photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de
famille : ainsi se construit, dans le réel et dans l’imaginaire,
la fiction de cette « aînée » pour celle à qui l’on ne dit
rien.
Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée
à devenir ce qu’elle devient par la mort de la première. Le
premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à
l’identique, l’histoire et les enfances se répètent de manière
saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux
filles. C’est en évaluant très exactement cette distance que
l’auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un
dimanche de ses dix ans.
L'atelier noir 2011
Tous les livres que j'ai écrits ont
été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions
et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées. A
partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail
d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de
le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle
irrésolution entre des projets, entre des désirs.
Une sorte
d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond
à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre
que j'entrevois, au loin, dans la clarté. A. E. Parallèlement à
ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture ; une
sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre
une incursion rare de "l'autre côté" de l'oeuvre. Plongé
au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du
long dialogue de l'autrice avec elle-même : la pensée taillée au
couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement ; des
associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.
Pour
la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter
l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.
Retour à Yvetot 2013
Est-ce que, moi, la petite fille de
l'épicerie de la rue du Clos - des - Parts, immergée enfant et
adolescente dans une langue parlée populaire, un monde populaire. je
vais écrire, prendre mes modèles, dans la langue littéraire
acquise, apprise, la langue que j'enseigne puisque je suis devenue
professeur de lettres ? Est-ce que. sans me poser de questions, je
vais écrire dans la langue littéraire où je suis entrée par
effraction, " la langue de l'ennemi " comme disait Jean
Genet, entendez l'ennemi de ma classe sociale ? Comment puis-je
écrire, moi, en quelque sorte immigrée de l'intérieur ? Depuis le
début j'ai été prise dans une tension, un déchirement même,
entre la langue littéraire, celle que j'ai étudiée, aimée, et la
langue d'origine.
la langue de la maison, de mes parents, la
langue des dominés. celle dont j'ai eu honte ensuite mais qui
restera toujours en moi-même. Tout au fond la question est : comment
en écrivant, ne pas trahir le monde dont je suis issue ?
Regarde les lumières mon amour 2014
Souvent, j'ai été accablée par un
sentiment d'impuissance et d'injustice en sortant de l'hypermarché.
Pour autant, je n'ai jamais cessé de ressentir l'attractivité de ce
lieu et de la vie collective, subtile, spécifique, qui s'y déroule.
Mémoire de fille 2016
"J'ai voulu l'oublier cette fille.
L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur
elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa
folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y
suis jamais parvenue." Annie Ernaux replonge dans l'été 1958,
celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans
l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son
corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur
des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres
écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été
dans un va-et-vient entre hier et aujourd'hui.
Hôtel Casanova 2020
"J'ai retrouvé une lettre de P.
dans un dossier de factures datant des années quatre-vingt. Une
grande feuille blanche pliée en quatre, avec des taches de sperme
qui avaient jauni et durci le papier, lui donnant une contexture
transparente et granuleuse. Il y avait seulement écrit, en haut, à
droite, Paris, 11 mai 1984, 23 heures 20, vendredi. C'est tout ce
qu'il me reste de cet homme." Passion sensuelle, amour maternel
heurté, vertiges du transfuge, écriture-révolution, hommage à
Pierre Bourdieu.
En douze textes, composés entre 1984 et 2006,
ce recueil est une invitation à découvrir l'écriture rare d'Annie
Ernaux et à s'initier, pas à pas, à ses thèmes les plus
obsessionnels et fondateurs.
Le jeune homme 2022
En quelques pages, à la première
personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de
trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir,
l'espace de plusieurs mois, la "fille scandaleuse" de sa
jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une
étape décisive dans son écriture. Ce texte est une clé pour lire
l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
Ecrire la vie 2011
"Ecrire n'est pas pour moi un
substitut de l'amour, mais quelque chose de plus que l'amour ou que
la vie". 15 janvier 1963 "Cette sensation terrible,
toujours, d'être à la recherche de l'écriture "inconnue",
comme cela m'arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois
le temps passer, nécessité d'écrire contre le temps, la
vieillesse". 3 août 1990 "Ecrire la vie. Non pas ma vie,
ni sa vie, ni même une vie.
La vie, avec ses contenus qui sont
les mêmes pour tous mais que l'on éprouve de façon individuelle :
le corps, l'éducation, l'appartenance et la condition sexuelles, la
trajectoire sociale, l'existence des autres, la maladie, le deuil. Je
n'ai pas cherché à m'écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me
suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui
l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été
donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et
mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible".
es onze ouvrages sélectionnés pour ce
volume, précédemment parus dans la « collection blanche »,
répondent à ce premier corpus dans un autre registre : le drame
assumé, sinon exorcisé. « Écrire la vie » prend alors un autre
sens : sans l’écriture qui livre le chemin d’une vie libre, il
n’y aurait que souffrance, remords, accablement et refoulement. La
passion de l’écriture se confond avec la passion de la vie, après
l’avoir engendrée. Vivre et écrire ne font plus qu’un. Rien
n’est banal, rien n’est dérisoire.
À ces onze romans s’ajoutent dix
textes brefs : tous sont de courts récits, des observations, des
réflexions sur l’écriture ou la lecture (à l’exception d’une
fiction, « Hôtel Casanova »).