vendredi 19 janvier 2018

Paul Auster 4 3 2 1



La sortie d'un roman de Paul Auster reste toujours un événement. Et à cette occasion je vous renvoie vers un site entièrement dédié à l'écrivain américain Paul Auster. S'il semble à l'heure actuelle avoir été abandonné en cours de réalisation, il contient cependant de très nombreuses informations sur neuf romans de l'écrivain.

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source Télérama 
En grande forme, Paul Auster nous entraîne dans un jeu de piste mené par son double de fiction new-yorkais. Aussi déroutant qu’exaltant.
Au commencement, rien n’y paraît. Aucun signe de désordre dans la narration, juste une énergie frénétique qui agite devant nos yeux les marottes de Paul Auster. On est en terrain connu (New York vorace et pugnace), avec des personnages familiers (en fuite et en feu), et c’est un plaisir de retrouver l’auteur en telle santé créatrice, après sept ans d’absence. Nerveux et visuel comme Martin Scorsese, bavard et désopilant comme Woody Allen, il fait les présentations : lecteur, voici Archie Ferguson, Juif d’origine russe, dont la grand-mère riait comme si elle avait des oiseaux dans la gorge, et dont le grand-père planta les dents dans une tomate en la prenant pour une pomme, lors de son arrivée à Ellis Island. Et Ferguson, voici ton lecteur, un cœur à prendre, un cerveau à ébranler, sens-toi à l’aise, impose-lui tes incohérences et ton esprit de l’escalier, joue-toi de sa naïveté, ignore son impatience. Cette proposition de manipulation ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. D’autant que Ferguson, dont nous faisons la connaissance en 1947, alors qu’il est le plus jeune être sur terre, âgé d’une minute à peine, ne tarde pas à se mettre à écrire, devenu adolescent, et à se confondre avec Paul Auster, nous livrant des extraits de ses tapuscrits dont le dernier s’appelle 4321, comme celui qui est entre nos mains…
Ce n’est pas mettre la charrue avant les bœufs ni briser un suspense immense que de raconter la carrière lit­téraire qu’embrasse Ferguson, après une enfance somnambule sous l’aile d’une mère photographe et d’un père marchand d’électroménager. Car Paul Auster lui-même prend des libertés avec la chronologie, s’autorise des ­incursions dans l’avenir lointain pour revenir aux origines, sans souci de ­logique ni de fiabilité. Démiurge olympien, il donne un coup de vieux aux procédés classiques de dynamitage spatio-temporel, flash-back et autres parenthèses anticipatives. Ivre de la liberté que donne l’écriture, il voyage entre les époques comme on passe d’une pensée à une autre, trois ans en avant, cinq ans en arrière, parfois dans la même phrase, avec un aplomb décoiffant. Il relate des faits que nous prenons pour argent comptant, et quelques pages plus tard, affirme le contraire comme si de rien n’était. Un personnage meurt dans des conditions atroces, et dix ans après, il est toujours en vie, comme si sa fin tragique n’avait jamais eu lieu.
A chaque fois que Paul Auster ose cet art tout personnel du fait alternatif, le lecteur perd pied. Persuadé d’avoir mal lu, on rebrousse chemin dans l’histoire pour assurer les vérifications de rigueur. C’est ainsi que le livre double tranquillement ses mille pages, les triple, voire les quadruple, puisqu’il doit s’arpenter en tous sens, au risque d’être parfois piétiné ou survolé. Puis vient l’acceptation des courants d’air que l’écrivain crée volontairement, des aberrations parfois fastidieuses qui trouent son récit pour lui donner plus d’oxygène.
Alors l’amusement gagne le lecteur à son tour. A la fois jeu de l’oie et jeu de piste, la lecture se transforme en échange de signes, d’indices, de clins d’œil. S’installe une complicité à la Perec, autour des duperies malicieuses d’Auster, de ses subterfuges multiformes pour brouiller les pistes, comme cette manie d’entourer son héros Archie de personnes dotées de prénoms aux mêmes sonorités : Andy, Anne-Marie, Artie, Audrey, Augie, Arnie, Amy… Cette dernière s’adresse à lui en l’appelant « mon drôle de petit grain de poussière ». Un surnom qui résume bien l’entreprise de Paul Auster, dans ce livre en forme de compte à rebours, de l’infini vers l’insignifiant, de l’immensité vers le microscopique, du rayonnement vers l’extinction. Dans un même souffle, le parcours individuel de Ferguson et les mouvements collectifs de l’histoire américaine fusionnent et disparaissent, jusqu’à ne devenir qu’un point à l’horizon. Si bien que lorsque Paul Auster donne la clé de son casse-tête littéraire, page 1012, il est presque trop tard. Ferguson lui a échappé, la créature a dépassé le créateur, phénomène propre aux grandes œuvres insondables.

Paul Auster 4 3 2 1 Actes Sud

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