L'ascension du col de Parpaillon lors du rallye annuel. Deux cents instantanés sur les participants qui disent beaucoup sur l'épreuve mais aussi, et surtout, sur notre société...
« Ce n'est pas dit que tous ceux qui ont des voitures sont des crétins, mais tous les crétins ont des voitures[…] le vélo, c'est la culture et la bagnole c'est la barbarie. »
Si quelques voitures font leur apparition dans les films de Luc Moullet (elles sont même au centre des Naufragés de la D17), on enfourche bien plus souvent son vélo. On se rappelle ainsi de la séquence mémorable d'Anatomie d'un rapport où notre acteur-réalisateur explique que chevaucher sa bicyclette permet de dépenser son énergie sexuelle aussi efficacement qu'en étant au lit. Il fallait bien qu'un jourMoullet se décidât à faire un film sur les deux-roues...
Le col du Parpaillon - dont Moullet suit l'ascension à l'occasion d'un rallye annuel - est réputé comme étant avec ses 2 637 m le plus dur des Alpes. C'est une route sauvage, non goudronnée, ce qui permet au cinéaste de filmer un paysage d'avant l'ère de l'automobile (qui en prend pour son grade durant tout le film). Le film est construit sur une série d'instantanés : lutte des cyclosportifs et des cyclotouristes, député suivi par une équipe de télévision, tricheurs en tous genres, compétiteurs acharnés ou paisibles promeneurs. En passant d'un personnage à un autre, Luc Moullet montre qu'existent dans cette course aussi bien la solidarité que les coups bas, l'instrumentalisation que la passion du sport, le plaisir que le défi... bref, que cette course reflète ce qu'est notre société.
Ce dispositif peut-il tenir la route pendant 1h 24 ? Et bien oui, Luc Moullet faisant preuve d'un immense talent de caricaturiste. Il parvient à faire vivre un personnage en deux trois détails, le caractérisant avec une économie de moyens extraordinaire tout en ne l'enfermant pas dans un unique rôle, dans une case, mais en ouvrant au contraire à chaque fois l'espace de sa vie. Moullet écrit le film au moment du tournage. Le matin, il découvre ses acteurs et c'est en les mettant en situation qu'il va chercher la surprise, l'imprévu, ce qui va faire qu'une histoire surgit. Et pourtant le film est très précis, travaillé, pensé, et n'a rien d'une succession de saynètes sans queues ni têtes placées à la va-comme-je-te-pousse. Moullet revient sur certains des personnages, reprend des situations, fait s'entrecroiser des récits, construisant une vraie dramaturgie à partir de ces instants épars.
Il met en scène ce petit monde (il y a près de deux cents portraits dans le film !) des fous de la pédale avec une profonde tendresse teintée de douces touches d'ironie. Les dialogues sont drôles et délicieusement absurdes, le jargon des spécialistes du cyclisme devenant une étonnante poésie qui réveille nos oreilles. Drôles et absurdes également les monologues des participants, qui se laissent aller à des dérives mentales (1)au fur et à mesure qu'ils avalent les kilomètres.
Parpaillon c'est aussi de l'amour, des coups tordus, du suspense, du sexe, de la violence, des révélations mystiques... Moullet s'amuse par cette accumulation d'histoires et d'instantanés à contredire à chaque minute de son film ce journaliste qui râle, car il n'y a pas matière selon lui à faire un sujet de plus de vingt secondes sur cette ascension « sans blessés ni accidents »... Aveuglement de l'homme de média incapable de voir toutes les histoires qui se déroulent sous ses yeux.
(1) Parmi ces monologues, celui de Luc Moullet qui cite une de ses critiques de cinéma en montant une côte, associant ainsi de façon humoristique la prose du critique à un délire...
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