mercredi 11 février 2015

les aventures fantastiques de Karel Zeman en DVD



   En 1962 j’avais dix ans, une seule chaîne télé et les copains en vacances. Déjà que rester seul le jeudi avec ma mère me faisais chier, alors, le jeudi tous les jours, forcément ça me facilitait le transit. Heureusement parfois, une fée vient à point pout titiller l'imagination.

  Je me souviens d’avoir vu à cet époque là un super film à l’occasion des fêtes de fin d’années avec l’école. Un film adapté des aventures de Jules Verne avec des décors absolument merveilleux qui ressemblaient aux illustrations de Leon Bennett pour les albums des Aventures extraordinaires. 
ce merveilleux film est "les aventures fantastiques" (1958) de Karel Zeman d'après "Face au drapeau" de Jules Vernes.






Karel Zeman, dessinateur tchèque, invente une forme de cinéma hybride, mi-prise de vue réelle, mi-animation, qui puise son inspiration dans les récits de Jules Verne et lorgne du côté de l’esthétique début de siècle de Georges Méliès. La ressortie des Aventures fantastiques nous permet de redécouvrir ce cinéaste qui fait de chaque plan une invention formelle.


Zeman a intégré en 1943 les studios d’animation de Zlin fondés par Hermina Tyrlová, s’inscrivant ainsi dans une foisonnante école tchèque d’animation. Développant un style très singulier s’appuyant sur le mélange entre prise de vue réelle et animation, il reste fidèle à une esthétique du XIXe siècle, tout en choisissant des récits peuplés de machines futuristes. Goût du passé et discours raisonné sur la fureur du modernisme se côtoient donc dans ses films très singuliers. 

il a fallu attendre presque 60 ans pour que la version française soit restaurée et rééditée enfin en DVD que bien entendu je me suis empressé de commander.

A commander chez Malavida 6 rue Houdon 75018 PARIS









 En 1962, le jeudi suivant cette mémorable projection, j'ai voulu reproduire à l'identique ce que j'avais vu. Je me suis affairé dans ma chambre. Pour réaliser mon rêve il m’a fallu me procurer une boite en carton suffisamment grand pour pouvoir y glisser la tête et les épaules, trois boites à chaussures, du papier translucide, du papier d’aluminium, deux tendeurs, un tuyau rigide d’aspirateur et son flexible, un ceinturon, du gros ruban adhésif, des ciseaux, de la colle, un marqueur, une assiette à dessert, un foulard turquoise piqué à ma mère, des gants de manutention, une lampe torche, une paire de grosses chaussettes montantes en laine à mon père, un tournevis et le couteau à pain. Ce n'était pas rien.

  Mon père au boulot et ma mère à papoter chez une voisine j’étais tranquille. Personne donc pour contrecarrer mes plans. Munis de tout mon matos je me mis travail. Tout d’abord je pris soin de préparer mon pick-up avec l’exemplaire souple de la "Chevauchée des Walkyries» adressé gratuitement à mes parents avec l’offre promotionnelle d’acquisition de la collection complète de l’œuvre de Wagner chez Deutsche-Grammophon.


   Bon d'abord le scaphandre. Sur la grosse boite en carton il y a six faces. Celle du dessous pour y glisser ma tête jusqu’aux épaules, celle du dessus prévue pour un autre usage. A l’aide du marqueur j’ai dessiné un cercle autour de l’assiette à dessert sur trois des faces restantes avant de les découper délicatement. Sur la face du dessus j'ai pratiqué une ouverture de cinq centimètres de diamètre maximum. Après un rapide essayage je n’ai pas omis une découpe semi-circulaire pour l’emplacement de mes frêles épaules. J’ai recouvert du mieux que j’ai pu toute la boite avec le papier d’aluminium sans en obstruer les ouvertures. Puis à l’aide du ruban adhésif j’ai collé à l’intérieur un grand carré de papier translucide sur l’ouverture faciale, les deux latérales devant me permettre de respirer. Sur le dessus de la même boite, j’ai fixé la lampe avec du ruban adhésif. C'était un boulot d'enfer mais le résultat était digne d’une super production du grand Ed Wood, qui je l'avoue, je ne connaissais nullement à l'époque. Ensuite j’ai vidé de leur contenu balancé sous le lit d’un coup de pied, les trois boites à chaussures. En parlant de pied justement, sur deux des boites à chaussures j’ai opéré une ouverture afin d'y glisser mes petons délicats. Sur une des faces la moins large de la troisième boite à chaussures, j’ai exécuté une ouverte de cinq centimètres de diamètre similaire à celle faite sur la grosse boite. Le tournevis m’a aidé à percer des trous en haut et en bas pour y accrocher les tendeurs. Les trois boites furent ensuite fermées avec du ruban adhésifet emballées d'aluminium. J’ai pu alors me débarrasser de l’assiette à dessert, du papier translucide, de l’emballage vide d’aluminium des ciseaux et de la colle.

  J’étais prêt pour la grande aventure.

  J’ai tiré alors les rideaux de ma chambre et allumé le chevet. J’ai ensuite enfilé mon pyjama rayé ainsi que les grosses chaussettes de laine de mon père. J’ai glissé les bas du pyjama dans les chaussettes remontées jusqu’aux genoux.

 Les deux extrémités du flexible de l’aspirateur prirent place dans les trous de la boite à chaussures d’un côté et du casque en aluminium de l’autre. Comme pour un sac à dos, j’ai enfilé ma réserve en oxygène puis chaussé mes boites en aluminium. Le ceinturon autour de ta taille j’y ai glissé le couteau à pain. Enfilé les gants de manutention avant l’ultime geste du héros me coiffer du casque de mon scaphandre dont j'avais préalablement allumé le projecteur. Ma vue était troublée par lepapier translucide. Mais la lampe torche trouait avec une efficacité surprenante les ténèbres accentuées par le foulard turquoise posée sur le chevet. Je respirais par les ouvertures latérales. J’imitais à grands bruits l'oxygène qui s’échappait en faisant des Blurp ! Blurp ! Gloup ! Blurp ! Je m'y croyais à mort et c'était le panard. Pour me déplacer je me voyais contraint de lever lourdement mes jambes lestées avec le sentiment de me mouvoir dans les grandes profondeurs. La « Chevauchée des Walkyries » à fond je découvrais un monde inconnu à plusieurs dizaines de mètres dans les Abysses. Blurp ! Blurp ! Gloup! Gloup! Blurp ! Blurp ! Pour la circonstance mon lit fut dévastés. L’aventurier des mers rien ne redoute. J'étais à la recherche d'un fabuleux trésor dans ces fonds marins obscurs et mystérieux. Soudain, que vis-je surgir prêt à l’attaque ? Raymond, mon ours en peluche transformé en requin géant. Le couteau à pain jaillit de son fourreau. J’évitais la première attaque. A la seconde voire à la troisième je lardais Raymond de mon arme acérée. Ce fut une horreur ! Il y avait du crin partout mais j’avais vaincu la bête, ha, ha, ha. 
Blurp ! Blurp ! Gloup! Gloup! Blurp ! Blurp ! Je me mouvais avec difficultés sur le sable. Ma vue toublée, je ne voyais plus grand chose à travers le hublotde mon scaphandre. J’avais chaud. Très chaud. La peur sans aucun doute mais je continuais d'avancer en dépit de l’éclair fulgurant qui envahit l’espace. Une forte bourrade me propulsa en avant. Je me cassais la gueule face contre terre avec mes boites de chaussures lestées aux pieds. Dans ma chute j’ai perdu le couteau à pain. Je fis volte face prêt à affronter le poulpe géant que j’escomptais terrasser avec le tuyau rigide de l’aspirateur devenu un fusil sous-marin. Mais l’arme était trop loin de moi. Le poulpe, toutes tentacules déployés se rua sur moi. Elles m’emprisonnèrent. je n’entendais plus « La Chevauchée des Walkyries» seulement les cris horribles et oppressants de la bête. J'allais périr.

   Car ce n’était pas un poulpe géant, mais ma vieille qui avait fait irruption dans ma chambre à cause des Walkyries à fond les manettes d'abord, puis des tuyaux de l’aspirateur qu’elle cherchait depuis près d’une heure. Elle tira les rideaux et découvrit le chantier sous-marin. Le foulard turquoise avait eu comme un léger coup de chaud. Il avait même un gros trou en son centre. Ma mère a été obligée d’ouvrir la fenêtre à cause de la fumée. Les coups se sont mis àlors à pleuvoir, les Walkyries en direct avec tout Wagner dans les poings de ma mère. Je ne pouvais pas me sauver. Il m'étais plus que difficile de courir un cent mètres avec des boites à chaussures lestées aux pieds. D’évidence ma mère n’aimait pas l’Aventure Alors résigné, je me suis pris une des branlées du siècle, tout en sachant au plus profond de moi que je restais digne des aventures du grand Jules Verne.

  Le soir venu il m’a fallu affronter le courroux du Capitaine Nemo qui au lieu de lire l’Equipe tranquille a dû me faire la morale après un rapport circonstancié. De plus, ma mère devait faire au Capitaine des blancs de poulet en papillotes. Eh bien sans aluminium les papillotes se transformèrent en jambon blanc. Le jambon blanc, le Capitaine Nemo il n’aime pas trop ça sans des frites. Alors son second a dû se taper des frites, ce qui n’était pas prévu à son programme .J’ai constaté amèrement que ma mère n’avait qu’une envie : remplacer les patates dans la friteuse par ma personne. Je dois avouer que je fus très déçu de constater que mes parents étaient bassement matérialistes. Mais je compris aussi qu’un jour je quitterais ce foyer de merde pour la grande Aventure, celle de la vie, celle où tu ne te fais pas chier que le jeudi, mais bien tous les jours.

1 commentaire:

Sophie a dit…

Bravo pour ce texte exceptionnel et ce moment incroyable raconté avec ce style qui n'appartient qu'à vous !
Merci !
Sophie (des Grigris)