"Giono, furioso : un livre sur mon père que j’attendais depuis
longtemps.Jusqu’à maintenant, je n’ai lu que des biographies
universitaires, sérieuses, intéressantes certes, mais sans vie. J’avais
l’impression que mon père était découpé, dépecé par des médecins
légistes. Emmanuelle Lambert m’a restitué mon père vivant."
Qu’écrire
après cet éloge de Sylvie Giono, publié sur le site de l’association Les
Amis de Jean Giono, créée en 1972 afin de promouvoir la lecture et la
connaissance de l’œuvre du romancier manosquin, issu d’un père
cordonnier italien et d’une mère blanchisseuse ?
Éloge, ô combien mérité, de l’essai littéraire de la commissaire de
l’exposition « Giono », présentée au Mucem du 30 octobre 2019 au 17
février 2020, en prélude aux commémorations du cinquantenaire de la mort
de l’auteur de L’Homme qui plantait des arbres. Si cet article
commence par les mots de la fille cadette de Jean Giono, c’est que nous
avons eu la même impression en lisant Giono, furioso : celle d’avoir son
père vivant sous nos yeux.
De le voir écouter, l’air narquois et la pipe à la bouche, Emmanuelle
Lambert lui parler de ses textes d’où jaillissent « la pierre, la
lavande, la terre ocre, les fleurs, les bois, les pins odorants ». D’où
s’échappent surtout, loin des clichés touristiques de notre éclatante,
bienheureuse et parfumée Provence, les oiseaux qui geignent avant de
chanter, la nuit qui gémit, la forêt qui gronde, le vent qui hurle, la
lumière qui s’enténèbre, les humains qui se font exploser la tête et
égorgent de jeunes animaux.
Les mots frappent fort sous la plume de Lambert, attendu que Giono
est, assurément, un écrivain « furieux » dont l’œuvre écume de colère,
se répand « en haine universelle », à cause des guerres qu’il déteste
parce qu’elles sont meurtrières et déshumanisent les humains. Parce
qu’elles profitent au capital et engraissent les industriels.
Pourquoi les mots frappent-ils si fort ? La raison est sans doute dans cet aveu : ses talents de conteur nous émeuvent et nous séduisent, « on le croirait presque gentil. Il ne me la fera pas. Je vais le lire et je vais le prendre, par tous les livres et par toutes les lignes, et j’irai le chercher dans ses contradictions et ses délires, dans son moi d’écrivain qui se dérobe car je sais qu’écrire, c’est toujours se mettre à l’abri de son œuvre, même si l’on affecte de se dévoiler. » Enfin un Giono tel qu’en lui-même, attentif à toutes les formes de vie, qu’elles soient humaines, animales et végétales ; mais qui, pareil à Flaubert, n’a aucun scrupule, lorsque les circonstances s’y prêtent, à exhaler ses ressentiments, à expectorer son fiel, à « déverser des torrents de bile ». Si Voltaire plaçait au-dessus de l’épopée d’Homère « Orlando furioso » de l’Arioste - dont le Pâtre de Manosque fut l’un des plus grands lecteur -, nous plaçons Giono, furioso au-dessus des livres sélectionnés pour concourir aux prix littéraires de cette fin d’année.
Anne-Marie Mitchell(La marseillaise)
Emmanuelle Lambert, Giono furioso, Stock. Prix Fémina essai 2019
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