samedi 28 septembre 2019

1969 l'année de mes 16 ans (16) : The Beatles : Abbey road





Encore un indispensable dans la discothèque d'un adolescent en 1969 tout comme aujourd'hui alors que celui-ci fête  ses cinquantes ans et qu'une version remasterisé vient de sortir dans les bacs avec cette photo mythique. 
La traversée d'Abbey Road par John Lennon, Ringo Starr, Paul McCartney et George Harrison a été immortalisée par le photographe Iian MacMillan le 8 août 1969. L'image fera la couverture du dernier album des Fab' Four qui portera le nom de cette rue située dans le quartier de St John's Wood à Londres. Le cliché alimentera aussi les rumeurs sur la mort du bassiste du groupe, Paul McCartney.

Pour comprendre, retour en 1966. Le 9 novembre, Paul McCartney sort des studios d'enregistrements d'Abbey Road et enfourche son cyclomoteur. Quelques minutes plus tard, l'accident se produit.

Le Beatles s'en sort indemne, mais cette version ne convainc pas tout le monde. La rumeur est lancée: Paul McCartney est mort et les Beatles ont engagé un sosie. Tout, depuis, est prétexte à imaginer le bassiste mort et enterré. Dans la chanson Strawberry Fields Forever, John Lennon prononcerait "I burried Paul". Le chanteur affirmera en fait y susurrer..."Cranberry Sauce". Sur la pochette de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, Paul porte un badge "OPD". Les fans y lisent "Officially Pronounced dead".

La photographie d'Abbey Road fournit des détails aux paranos de tout poil. Paul McCartney est pieds-nus, comme les personnes enterrées en Inde. Le bassiste est précédé de Ringo Starr, tout de noir vêtu, couleur du deuil en occident. En début de file, John Lennon est habillé en blanc, couleur de la mort en orient. Enfin George Harrison ferme la marche, en jean, comme s'il s'était chargé de la mise en terre...

Mais ce n'est pas tout. A l'arrière plan, une voiture est immatriculée LMW 28 IF. Les fans comprennent "Living McCartney Would be 28 If...", soit, "Vivant Paul McCartney aurait 28 ans si...". Enfin, le dernier signe, Paul McCartney n'est plus le même. Gaucher en temps normal, il tient sa cigarette de la main droite sur la célèbre image.



    Abbey Road ne fut pas le dernier album des Beatles, puisque Let It Be suivi en 1970, mais c’est pourtant le dernier que John, Paul, George et Ringo ont enregistré ensemble en tant que groupe. Des millions de disques d’Abbey Road ont été pressés dans des usines de fabrication à travers le monde. L’album marquait un tout autre succès des Beatles, occupant à l’époque la première place du classement des albums au Royaume-Uni pendant 17 semaines et se classant au-dessus du palmarès des albums de Billboard aux États-Unis pendant 11 semaines.

                                                         © Courtesy of Apple Records / Capitol
 


mercredi 25 septembre 2019

Patrick Deville, Amazonia



   Avec Amazonia, Patrick Deville propose un somptueux carnaval littéraire dont le principe est une remontée de l'Amazone et la traversée du sous-continent latino-américain, partant de Belém sur l'Atlantique pour aboutir à Santa Elena sur le Pacifique, en ayant franchi la cordillère des Andes. On découvre Santarém, le rio Negro, Manaus, Iquitos, Guayaquil, on finit même aux Galápagos, plausible havre de paix dans un monde devenu à nouveau fou, et qui pousse les feux de son extinction.
    Le roman remonte jusqu'aux premières intrusions européennes, dans la quête d'or et de richesses, selon une géographie encore vierge, pleine de légendes et de surprises. Plus tard, les explorateurs établiront des cartes, mettront un peu d'ordre dans le labyrinthe de fleuves et affluents. Des industriels viendront exploiter le caoutchouc, faisant fortune et faillite, le monde va vite. Dans ce paysage luxuriant qui porte à la démesure, certains se forgent un destin : Aguirre, Fitzgerald devenu Fitzcarrald, Darwin, Humboldt, Bolívar.

    Ce voyage entrepris par un père avec son fils de vingt-neuf ans dans l'histoire et le territoire de l'Amazonie est aussi l'occasion d'éprouver le dérèglement du climat et ses conséquences catastrophiques.

vendredi 20 septembre 2019

Stéphane Eicher : Homeless Songs




  Quatorze titres inédits, écrits au cours de son long purgatoire discographique (dont près de la moitié avec le vieux complice Philippe Djian). Ce disque intitulé "Homeless Songs" ( chansons sans domicile fixe ), parce que, pendant longtemps, elles ne trouvèrent pas de producteur pour les abriter. Il est vrai qu’elles sortent des standards du marché : certaines sont très courtes et trop dépouillées pour attirer l’attention des radios ; d’autres s’avèrent à l’inverse bien trop longues pour intégrer leurs playlists. Sans parler de ses cinq textes en dialecte bernois, que seul un public d’initiés comprendra…


Qu'importe, "Homeless Songs" est un l'album  délicat, d'une grande douceur duquel se dégagent à la fois une immense mélancolie, mais surtout un sentiment de volupté. Ses morceaux sont des petits bijoux, d'une élégance rare.





lundi 16 septembre 2019

Jonathan Coe, Le coeur de l'Angleterre



     Comment en est-on arrivé là? C’est la question que se pose Jonathan Coe dans ce roman brillant qui chronique avec une ironie mordante l’histoire politique de l’Angleterre des années 2010. Du premier gouvernement de coalition en Grande-Bretagne aux émeutes de Londres en 2011, de la fièvre joyeuse et collective des jeux Olympiques de 2012 au couperet du référendum sur le Brexit, Le cœur de l’Angleterre explore avec humour et mélancolie les désillusions publiques et privées d’une nation en crise.
Dans cette période trouble où les destins individuels et collectifs basculent, les membres de la famille Trotter reprennent du service. Benjamin a maintenant cinquante ans et s’engage dans une improbable carrière littéraire, sa sœur Lois voit ses anciens démons revenir la hanter, son vieux père Colin n’aspire qu’à voter en faveur d’une sortie de l’Europe et sa nièce Sophie se demande si le Brexit est une cause valable de divorce.
Au fil de cette méditation douce-amère sur les relations humaines, la perte et le passage inexorable du temps, le chantre incontesté de
l’Angleterre questionne avec malice les grandes sources de crispation contemporaines : le nationalisme, l’austérité, le politiquement correct
et les identités.
Dans la lignée de Bienvenue au club et du Cercle fermé, Le cœur de l’Angleterre est le remède tout trouvé à notre époque tourmentée. 

source Gallimard 














Depuis "Testament à l'anglaise" Jonathan Coe est vraiment brillant. Arriver comme il le fait à mêler l'évolution de la famille Trotter , famille au sens large qui inclut amis et alliés, à l'acheminement de l'Angleterre vers le Brexit , le récit s'étendant de 2010 à 2018. Quelle finesse dans l'analyse des caractères et quelle profondeur dans la mise en évidence des racines de la situation politique actuelle ! Sans oublier ,un humour qui fait passer avec élégance une scène érotique dans un placard ! A lire derechef  pour le plaisir du roman et l'intérêt de l'analyse politique et sociologique.


jeudi 12 septembre 2019

Adolfo Kaminsky, faussaire et photographe



 
La pluie, la femme au parapluie Paris, 1949 © Adolfo Kaminsky Crédits : Adolfo Kaminsky


     Pendant la Seconde Guerre mondiale, Adolfo Kaminsky a sauvé des milliers d'enfants juifs en leur faisant des faux papiers. Après-guerre, il est resté dans la clandestinité aidant divers mouvements à travers le monde. Le MAHJ lui consacre une exposition, à lui et sa passion cachée : la photographie.

"Quand on a la chance de sauver ne serait-ce qu’une seule vie humaine, on le doit, c’est primordial. Et j’ai eu la chance d’en sauver beaucoup." Adolfo Kaminsky

    Cet homme est un héros très discret même si sa fille, Sarah, a longtemps ignoré qu’il avait été résistant, faussaire et expert en faux papiers.

"Adolfo Kaminsky, mon père, a aujourd’hui 94 ans et il a fait des faux papiers pendant 30 ans de sa vie pour sauver des gens. Il a commencé son travail de faussaire pendant la Seconde Guerre mondiale où il était le faussaire de Paris. Et puis il a continué pour toutes les causes qui lui ont semblé justes pendant 30 ans jusque dans les années 70." Sarah Kaminsky

                                Les puces 1955 © Adolfo Kaminsky Crédits : Adolfo Kaminsky

    Juif d’origine russe né en Argentine, Adolfo Kaminsky grandit en France. Dès 14 ans, il travaille dans une teinturerie où il se forme à la chimie. En 1942, à 17 ans, il est interné dans le camp de Drancy d’où il sort miraculeusement. À sa sortie, il entre dans la Résistance en inventant le principe de l’effaceur.

    "La Résistance avait un énorme problème pour la décoloration de l’encre bleue Waterman. Et c’est ainsi qu’il a été recruté. Lui savait comment faire et donc il a intégré le laboratoire de faux papiers." Sarah Kaminsky




Femme seule qui attend Paris, 1946 © Adolfo Kaminsky Crédits : Adolfo Kaminsky

"Même les enfants en bas âge avaient une carte d’alimentation avec le tampon "Juif" en rouge, se rappelle Adolfo Kaminsky. Et puis il y avait les noms. Quand on s’appelle Israélovitch David, il vaut mieux s’appeler Jean-Pierre Dupond. À cette époque, c’était jour et nuit, j’ai travaillé jusqu’à l’évanouissement. Plusieurs fois de suite, j’ai été réanimé par mes camarades."

"En une heure, je fabrique 30 faux papiers. Si je dors une heure, 30 personnes mourront." Adolfo Kaminsky
  
"J’ai perdu un œil de fatigue de ce travail ininterrompu jour et nuit, au microscope, à la loupe, explique aujourd'hui Adolfo. Mais c’est le prix à payer." Adolfo Kaminsky
 
     Après-guerre, il fabrique des faux papiers pour l’émigration des rescapés juifs vers la Palestine. Puis il sera le faussaire des combattants algériens, sud-américains, tiers-mondistes, etc. Dans la clandestinité jusqu’en 1971. Il a toujours refusé d’être payé pour faire des faux papiers pour ne jamais être forcé à soutenir une cause.

"Ce qui pour moi fait la particularité de son engagement, c’est que pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’est engagé pour des Juifs, c’est-à-dire qu’il était athée mais juif. Et ce que je trouve extrêmement intéressant dans son histoire, c’est que par la suite, il met exactement le même engagement à sauver des personnes qui n’ont rien à voir avec sa communauté. Financièrement, il a toujours été fauché. Sentimentalement, ça a toujours été très très compliqué d’avoir une double vie. À chaque fois qu’il avait une histoire d’amour et qu’il devait aller travailler au laboratoire la nuit, son amoureuse se disait : "Mais avec qui est-ce qu’il me trompe ?". Sarah Kaminsky


           Le libraire Paris, 1948 © Adolfo Kaminsky Crédits : Adolfo Kaminsky


"C’est en faisant des faux papiers qu’Adolfo découvre la passion de sa vie : la photographie. Une passion restée secrète, clandestine, jusqu’à aujourd’hui.
Il voulait être peintre quand il était petit mais il pouvait pas, retrace Sarah, il fallait qu’il travaille, il était dans une famille pauvre. Mais d’un coup la photographie vient remplacer sa volonté de transcrire le monde en images. Et il fait plein de photographies artistiques pour lui-même dont il développe la pellicule et dont il ne tire jamais les photos. Donc il a gardé comme des boîtes, des boîtes et des boîtes remplies de pellicules développées mais de photos non tirées que personne n’a jamais vues, qu’il ne pouvait pas exposer parce qu’il ne pouvait pas être à la fois dans l’ombre et dans la lumière. Aujourd’hui, parce qu’il n’est jamais trop tard, même si à 94 ans pourquoi pas, il a une carrière naissante de jeune photographe." Sarah Kaminsky
Source Arthur Eryeh-Fort et Camille Renard, France Culture 


 À voir : Exposition "Adolfo Kaminsky, faussaire et photographe", Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ), Paris, du 23 mai au 8 décembre 2019

samedi 7 septembre 2019

1969 l'année de mes 16 ans (15) : Johnny Hallyday : Rivière..ouvre ton lit


    
    Bien souvent les yeux clos, je voyage dans un monde qui n’existe plus. Non pas un monde rêvé, mais un monde sublimé par la mémoire et le juge à l’aune du temps qui passe. La nostalgie pour un voyage au pays des vivants.

    Dans ces moments là, j'y retrouve au troisième étage du petit appartement à Bobigny, la fenêtre de ma chambre qui donnait sur les toits des pavillons de la rue d’Odessa, de la rue de Leningrad et de la rue Jean-Pierre Timbaud. De l’autre côté, depuis fenêtre de la cuisine, un rapide tour d’horizon montrait encore ce qui tenait lieu de village avant que des forêts de grues ne soient plantées dans le décor et que se dressent tours et bâtiments administratifs.

    Mon regard portait loin alors, jusqu’à la tour des imprimeries de la revue l’Illustration érigée en plein champs. Aux alentours presque rien, si ce n’est sur la droite les sinistres tours de Drancy qui mugissaient chaque premier jeudi du mois.

    A gauche les reliefs masqués de la ligne de chemin de fer menant à la gare de Bobigny. De l’été 1943 à l’été 1944, la gare de Bobigny, qui était alors une gare désaffectée de la grande ceinture, devint le lieu de déportation des Juifs détenus au camp de Drancy, situé à un peu plus de 2 km. Hommes, femmes et enfants y furent embarqués dans des convois de wagons plombés qui devaient les mener vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Mes parents ne m’en ont jamais parlé. Ni de la gare, ni de Drancy. Pas de devoir de mémoire.

    L’immeuble où logeaient mes parents est un immeuble de quatre étages, collé à l’est de ce qui était le canton de la Madeleine à quelques pas du pont de Bondy. Le rez-de-chaussée se composait de trois logements répartis de chaque côté du hall d’entrée. Passé une volée de marches vous trouviez sur la droite deux logements de deux pièces. L’un avec des fenêtres sur rue. L’autre avec des fenêtres sur cour. Celles sur cour donnaient sur un petit jardin privatif attribué aux locataires de ce logement. Le reste de la cour, séparé du jardin par une rangée de buis, servait à l’étendage du linge. Elle abritait une ancienne buanderie transformée en local à poubelles et deux petits cabanons. Celui au fond de la cour appartenait à mes parents. Ils y entreposaient le baril de mazout quand ils eurent abandonné le poêle à charbon pour un Airflam alors en vogue.

    Le logement situé au rez-de-chaussée gauche se trouvait être un peu plus grand que les deux autres, avec des fenêtres donnant chacune l’une sur la rue et l’autre sur la cour. Pour les étages, la configuration était identique du premier au quatrième étage. Un logement côté droit du palier Deux logements plus petit côté gauche d’une pièce, cuisine.

   Les deux logements du troisième étage côté gauche avaient été réunis à la demande de mon père. Je n’ai guère dans l’idée de quelle surface était ce logement. Les pièces en étaient petites. Ma chambre, par exemple, était occupée en majeure partie par un lit de 90 de large qui laissait juste la place pour y ajouter une carpette. A la tête de lit, moins d’un mètre avant la fenêtre et au pied du lit soixante centimètres avant la porte. Mais je possédais une chambre. Nos voisins avec quatre enfants étaient bien moins lotis. Les garçons et les filles tête-bêche dans des lits de fortune. Et des mômes ce n’est ce qu’il manquait en dépit du manque de place. Sur chaque demi-palier les toilettes à la turque pour deux appartements. Dans chaque appartement une salle de bain sur la pierre à évier entre l’assiette plate et l’assiette creuse.

    Je me souviens que de la fenêtre de la cuisine s’étalaient terrains vagues et maraichers. A mes pieds un carré de jardins ouvriers où des hommes en bleu de chauffe s’attelaient le soir pour y faire pousser quelques légumes. Au-delà « le champ de personne » comme l’écrira Daniel Picouly. Ce terrain vague abritera bien des cabanes et des jeux des bandes de mioches du quartier avant la naissance du groupe scolaire Auguste Delaune. Ainsi était Bobigny tel que je l'ai connu.

    Nous ne disposions que d'une chaine de télévision, avec une émission phare « Age tendre et tête de bois » devenue à partir de 1965 « Tête de bois et tendres années ». Cette émission était le pendant télévisé de «Salut les copains» que nous les jeunes, écoutions religieusement sur un poste à transistors. Emissions qui disparaitront hélas en 1968 pour « Têtes de bois et tendres années » et 1969 pour « Salut les copains ». La disquaire du marché Edouard Vaillant, souvent évoquée ici, était particulièrement bien achalandée en musique anglo-saxonne dont nous étions friands. Cependant cela ne nous empêchait pas d'écouter les chanteurs francophones dont Johnny qui fit fort en cette année 1969 avec son album « Rivière... ouvre ton lit » considéré comme l'un des albums les plus aboutis du chanteur. Les chansons "Rivière... ouvre ton lit", "Voyage au pays des vivants" et surtout "Je suis né dans la rue", devenus des classiques du répertoire d'Hallyday avant que je ne vogue au propre comme au figuré vers d'autres cieux.

Pourtant je dois bien reconnaître que Johnny à accompagné mon enfance et adolescence depuis 1962. Merci à lui.




mardi 3 septembre 2019

1969 l'année de mes 16 ans : Woodstock (2)



    La plupart des artistes étaient rodés aux festivals, ayant participé à celui de Newport, Monterey ou Miami; le programme prend forme. Joan Baez, Ravi Shankar, Richie Havens, Ten Years After, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Joe Cocker, Janis Joplin, les Who et Jimi Hendrix ont déjà donné leur accord. Une sorte d'unanimité des organisateurs avaient écartés les Rolling Stones dont l'image de violence ne cadrait pas avec le festival, et les Doors déclinèrent l'invitation, Jim Morrison étant convaincu qu'il serait agressé et tué sur scène. Des milliers d'affiches sont imprimées et déjà des dizaines de milliers de billets ont été vendus, quand après des semaines de négociations, sous la pression des Citoyens Concernés de Wallkill, le propriétaire de Mill's Park se rétracte. Les spectres d'Easy Rider ont encore frappés. Début juillet, le festival a perdu son site.Woodstock Venture emploie déjà une centaine de personnes et des milliers de dollars ont été dépensés, des garanties versées aux artistes. Un communiqué est immédiatement adressé à la presse, confirmant que le festival aurait bien lieu. La notoriété de l'évènement est maintenant définitivement assurée. La rumeur a pris de l'ampleur, et, des endroits les plus éloignés des Etats-Unis, parviennent des milliers de réservations. Souvent les chèques sont accompagnés d'un message «Love & Peace».




     Woodstock était dans l'air. Les participants se souviennent d'une rencontre de hasard où quelqu'un a mentionné Woodstock, une discussion sur le campus, des copains qui forment un projet de vacances. Le mouvement vers l'ouest qui portait encore sur San Francisco et la Californie au moment du Summer of Love de l'été 1967 semble soudain s'être inversé. Tandis que Michael Lang sillonne la région en hélicoptère, des offres arrivent maintenant d'un peu partout, encouragés par leur détermination et le crédit dont ils disposent.C'est ainsi que leur est proposé un champ de la ferme de Max Yasgur, à Bethel, dans le district de White Lake, au pied des Catskills, régions de vallons et de lacs.Dès la visite terminée, Michael Lang est persuadé que ce champ est l'endroit idéal. Un vallon boisé, isolé à presque 2 km de la route principale, un herbage en pente de plusieurs hectares, se terminant par un étang, et suffisamment de terrain plat pour installer une immense scène et le pavillon des artistes. Max Yasgur pose ses conditions, non seulement quant au montant de la location, mais également pour tout ce qui concerne le déroulement des travaux et la remise en état après le festival. Et il demande une nuit de réflexion. Le matin en ouvrant ses volets, il aperçoit, dans le champ qui sépare sa maison de la route, un panneau qu'il n'avait jamais vu. Le panneau annonce: « Don't buy Yasgur's milk. He loves the hippies .»(« N'achetez pas le lait chez Yasgur. Il adore les hippies. ») La décision de Yasgur est prise. Avec son soutien actif, John et Joel conduisent les négociations. Cette fois-ci, les associés de Woodstock Venture vont obtenir un accord définitif des autorités de White Lake.




    Le vendredi après-midi, avant que ne commence le premier concert, John, Joel, Artie et Mike examinent la situation depuis la scène. Plusieurs dizaines de milliers de gens occupent le champ depuis la veille, d’autres arrivent toujours plus nombreux. Des groupes, avec ou sans leur billet, arrivent ensuite de toutes parts, arrachent les grillages seulement pour arriver à entrer tellement l’accès principal est encombré. La marrée humaine oblige les organisateurs à prendre la seule décision possible, un tonnerre d’applaudissements salue l’annonce faite par John Morris: « From now on, this is a free concert! » A partir de maintenant, l’entrée est libre.



    Le souvenir de la gratuité de ce festival contribuera largement au mythe Woodstock. Il poursuit son annonce et demande au personnel d’évacuer les guichets, d’ouvrir les portes et d’aider à la mise à terre des clôtures - dont la pose vient de s’achever - afin que nul ne se blesse en la franchissant.John Morris a d’autres soucis. La paralysie du trafic provoque d’énormes retards dans l’acheminement des instruments et du matériel des artistes. Le concert doit commencer et les amplis de la plupart des groupes ne sont pas arrivés, les camions étant restés bloqués sur l’autoroute 17.



  
     Alors le dimanche, après que le gouverneur a déclaré White Lake zone sinistrée, quand le bruit se répand que les stocks de nourriture sont épuisés, un sentiment de solidarité se développe avec cette jeunesse. Dans les Bungalows Colonies et les fermes des environs, des milliers de sandwiches sont préparés dans des dizaines de familles, tandis qu’un hôtelier de Monticello fait durcir des centaines d’œufs. Et par les petites routes forestières, les habitants, leurs camions chargés de provisions, rallient le site du festival où le concert a repris. Après l’époustouflante interprétation de With a Little help from my friends de Joe Cocker, version promise à devenir plus célèbre que l’original des Beatles, une tornade s’est abattue malgré les fervents «No Rain» psalmodiés par la foule. Dans le champs désormais transformé en immense bourbier, que commence à faire sécher le soleil d’août, le concert a repris. S’enchaînent alors des groupes qui vont également marqués ce festival comme Santana, Ten Years After, Crosby, Stills, Nash & Young. Et lundi matin à l’aube, Jimi Hendrix entre en scène. Dans la nuit, des milliers sont déjà partis,mais les 30.000 qui restent sont gratifiés de l’une des meilleures performances du festival. Jimi Hendrix au sommet de son art. Quand il attaque The Star Spangled Banner (l’hymne américain), organisateurs et spectateurs sont tirés de la torpeur où les a plongés trois jours de musique, de veille, d’intempéries, d’herbe et d’acide. A travers l’interprétation d’Hendrix, dont la guitare distord les accords de l’hymne national, chacun ressent la distorsion de son ego américain. Maintenant complètement réveillés par les derniers accords de Hendrix qui clôturent le festival, tous se lèvent, et déjà conscients d’avoir participé à un rassemblement sans précédents et qui n’aura pas d’équivalent, les Aquariens se dispersent. Au contraire des immenses embouteillages provoqués par leur arrivée, leurs départs se fondent dans le trafic routier qui, chaque matin, converge vers les tours de Manhattan. Les hélicoptères sont ramené les artistes en ville, et déjà John Roberts et Joel Rosenman font face à leurs banquiers dans un bureau de WallStreet. L’immense majorité des Aquariens constitue désormais au sein de la société américaine la Nation Woodstock. Mais au fond d’eux-mêmes, ils ne peuvent oublier les 500.000 autres, encore prisonniers des bourbiers vietnamiens. Rentrés au pays les vétérans fuient à leur tour une société qui ne les reconnaît pas plus qu’ils ne la reconnaissent. Par rejet de leur passé, ils adoptent les cheveux longs et le bandana des peaceniks. Alors au lendemain du festival de Woodstock, combien seront-ils dans les rangs du million de marcheurs pour la paix qui investira Washington le 16 novembre 1969 ?