Après un mois à me gratter les couilles à Lorient à débarquer la literie complète de notre aviso et choper des morpions, il a bien fallu rentrer chez moi. J'y ai retrouvé, ma piaule, mes parents, mes potes et celle qui m'avait attendu deux ans.
Question musique elle était loin d'être rock n' roll. Plutôt chanteur à texte, si possible à s'ouvrir les veines. Des chanteurs qui gagnaient à être connu et dont certains sont entrés dans mon Panthéon, je dois le reconnaître, sans que jamais je ne cherche à mettre fin à mes jours. Barbara en fait partie. Elle aimait Barbara. Alors je me suis fendu.
La
chose avait été promise de longue date et la table retenue depuis
maintenant trois semaines. A l'occasion J’ai traîné ma peine boulevard Barbès. Les vitrines
affichaient des slogans accrocheurs et des prix modiques. Le chevron me
semblait indémodable. Je me suis laissé tenté par un costume de couleur
indéterminé dont le vendeur, à l’humour pince sans rire, m’affirma
qu’il m’allait commme un gant. Les affaires allaient-elles donc si mal pour
qu’il se montre aussi obséquieux à mon égard ? Le pantalon
tirebouchonnait et le rendu arrière de la veste baillait de façon
disgracieuse quand je la fermais.Il m'allait comme une moufle.
Seul avantage en sa faveur le prix. Je
cédais donc à l’appel des sirènes, complétais ma garde robe d’une
chemise pastel, déjà froissée d’impatience, et m’acquittais de mes
achats.
Les
retouches n’y changèrent rien. « Costard Pochon, t’as l’air d’un con. »
Un slogan qui tient toujours ses promesses. En dépit du repassage à
sec, un mauvais lainage reste un mauvais lainage. Un mauvais lainage qui
pochait désespérément aux coudes et aux genoux. A moins des rester en
permanence debout les bras ballants. Et encore. Les accessoires
outranciers ajoutaient au ridicule. Mon double manquait cruellement
d’élégance. Il ne manquait plus qu’une mauvaise eau de toilette pour
rajouter une touche de mauvais goût. J’y remédiais derechef. Parfait.
Il
pleuvait ce soir là. Nous sommes descendu à la station Palais Royal et
avons rejoins l’avenue de l’Opéra. C’était la première fois que je me
rendais à un dîner spectacle. Elle aussi. Dès le seuil franchi, le
premier passage obligé fut le vestiaire. Parmi les manteaux chics et
sombres, nous laissâmes son manteau clair, ma serpillière, et un
parapluie que personne ne nous volerait jamais. La salle était petite.
Elle pouvait accueillir tout au plus une centaine de personnes. Deux
longues tables dressées sur les côtés la rétrécissaient encore plus. A
voir ces femmes en lamés et ces hommes en smoking j’ai senti que je
n’étais pas à ma place mais il était trop tard pour reculer. Bien
entendu il n’y avait qu’une table au centre et ce fut la notre. A notre
entrée les regards se sont portés sur nous. Nous faisions sensation.
Certainement la couleur poireau pomme de terre de mon costume Pochon, ma
chemise poussin albinos, ma cravate et ma pochette aussi cramoisi que
ma gueule, le tout assorti aux chaussettes. Avec les pochons aux genoux,
mon pantalon avait bien perdu dix centimètres de longueur, juste
question de laisser admirer la qualité du fil d’Ecosse de mes
chaussettes agonisantes sur mes chevilles. Mon portefeuille faisait
sailli dans ma poche. Sans compter celles du pantalon bourrées
d’accessoires tels des bajoues de hamster. La grande classe. Elle me
précédait en robe claire à godets et chaussée de bottes blanches. Aidée
par un bellâtre qui ne nous quitta plus de la soirée elle s’assit à ma
gauche tandis que je me jetais sous ma chaise question de tenter de
passer inaperçu. Rien n’y fit. Bien heureusement rapidement les habitués
nous oublièrent. Sauf le bellâtre toujours disposé à nous rendre
service. M’allumer ma clope, me servir du vin, lui servir de l’eau, nous
couper la viande, m’essuyer la bouche, me faire les ongles. Nous foutre
la paix, non. Il était payé pour nous faire chier et je dois admettre
qu’il fit bien son boulot. Rien à reprocher. Il faisait chaud. Nous prime
un rafraîchissement au prix d’un réfrigérateur. La soirée s’annonçait
belle. Je la voyais heureuse. Je l’étais donc aussi. Nous étions très
bien placé. Sans avoir le bras long, je reste assuré qu’en le tendant
bien, je pouvais griffer le vernis du piano du bout de ma fourchette. Je
ne m’y suis pas aventuré. C’était juste question de dire.
Restait du bleu à l’âme et l’inoubliable Barbara.
De quoi occuper une vie.
En
première partie, nous eûmes droit à Yvan Dautin et Pierre Vassiliu. De
quoi attaquer les entrées et le plat, une volaille aux cerises pas
vraiment morte que ma fourchette chatouillait de temps à autre pour la
faire rire. Je rangeais mon mikado en os sur le bord de l’assiette,
suçait les cerises et épongeais la sauce. Rien d’extraordinaire à faire à
la maison mais à un dîner spectacle, cela restait une autre affaire.
Ah! il devait bien se marrer le bellâtre à me voir tel un bretteur en
découdre avec la volaille pas morte.
A
l’issu du combat, Vassiliu retourna dans sa loge. J’abandonnais la dure
en cuisse. Nous fîmes une pause. Faute de clopes, je commandais un
paquet au prix d’une cartouche. Radical contre le cancer du poumon. On
amena alors le dessert. Un truc indéfinissable avec des pailles des
parasols des cerises, du citron, des fruits confits et de la chantilly.
Un objet d’art, quoi ! C’est à ce moment que nous sommes retrouvés dans
le noir une fraction de secondes jusqu’à la venue de la longue dame
brune. Sous les applaudissements, elle s’est installé au piano à un vol
de pintade de mon assiette. Elle s’est mise à chanter. Normal, elle
était là pour cela et on était venu pour. Au prix ou je payais il aurait
plus manqué qu’elle nous fasse des ombres chinoises ou un numéro de
prestidigitatrice. C’est vrai qu’on était prêt aussi. Pas la peine de
brailler et taper comme un sourd sur son piano. J’entendais parfaitement
bien. J’ai même failli m’esbigner un oeil avec ma petite cuiller.
Comment, je respecte rien. Barbara, d’accord ! Faire plaisir, d’accord !
Mais ce sont mes oreilles et mon pognon, tout de même. Pis je sortais
de deux années de désert culturel. Tout ça pour apprendre qu’il pleuvait
sur Nantes, avouez qu’une fiche météo m’aurait suffi. Pourtant, je dois
sincèrement avouer que je me laissais rapidement gagner par le charme
de la grande dame brune. je dois même reconnaître que je fus
littéralement sous le choc avec une Barbara intime et possédée. C’est
bien simple, je n’avais d’yeux que pour elle. Je mangeais mes clopes,
fumait ma chantilly. Écrasais ma clope dans la chantilly. Embrassait le
bellâtre. Le grand jeu. Et quand j’aime, je ne compte pas. A l’entracte,
je commandais un alcool au prix d’une distillerie que je consommais
d’une glotte gustative jusqu’au final explosif.
A
la fin des applaudissements, alors que la longue dame brune
disparaissait dans une brume légère derrière le rideau rouge, que les
lumières étaient encore tamisées, le bellâtre qui ne perdait jamais une
occasion de rire me glissa discrètement la note qu’éclairait la lueur
vacillante d’une maigre bougie en fin de vie. Je m’y attendais, mais
quand même. Ma pâleur fut mise sur le compte de l’émotion. Voir Barbara,
manger un pintadeau aux cerises et mourir. Mon CCP aurait été du plus
mauvais effet. De toutes les façons, il ne s’en serait pas remis. Je
réglais rubis sur l’ongle, faute de monnaie, laissait un pourboire royal
et nous filâmes rejoindre la cohue aux vestiaires récupérer son manteau
et ma guenille. Toujours faute de monnaie, je réglais gracieusement le
vestiaire sans pouvoir conserver en souvenir les cintres en plaqué or.
Paris est certes trop petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi
grand amour. Mais la banlieue est lointaine pour ceux qui à pied
doivent rentrer se coucher. Le taxi de rigueur, je ne vis pas un brin de
la route, l’œil rivé sur le compteur qui avalait mes derniers francs.
Je la laissais à sa porte dans la froidure d’un matin de décembre. Elle
me proposa fort gentiment de conserver le taxi jusque chez moi. Je
doutais que le prix de la course ne dépasse pas les cinquante centimes
qui me restaient en poche. Je n’en fit donc rien. D’ailleurs, rentrez à
pied me ferait le plus grand bien. Et puis c’était encore gratuit.
Alors, autant que j’en profite.
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