"Il
y a des blancs dans cette vie...". Ainsi débute ce roman écrit à la première personne. Dans sa jeunesse, le narrateur (fut chargé par l'agence de détectives Hutte de
retrouver une jeune femme disparue, Noëlle Lefebvre. Le dossier est
maigre. Tout juste sait-on (mais ce n'est pas certain) que la jeune
femme aurait habité rue Vaugelas à Paris.
Trente ans ont passé. Jean Eyben tente de reconstituer le puzzle de cette affaire irrésolue.
Le
livre que le lecteur tient entre ses mains est en fait le journal de
Jean. Il écrit pour se souvenir mais les indices sont épars et la
mémoire vacillante. Comment combler les blancs qui persistent?
- Le "chaînon manquant" -
Au fil de sa quête, Jean retrouvera les traces
enfouies de sa propre vie. "Je finissais par croire que j'étais à la
recherche d'un chaînon manquant de ma vie", constate-t-il stupéfait.
"A
mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une
impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à
l'encre sympathique (...) Peut-être, au détour d'une page, apparaîtra
peu à peu ce qui a été rédigé à l'encre invisible (...) D'une écriture
très nette et qui ressemble à la mienne, les explications seront données
dans les moindres détails et les mystères éclaircis", se prend-il à
espérer.
Dans le fracas de sa mémoire, Jean se remémore des noms
(Gérard Mourade, Roger Béhaviour à moins que ce ne soit Béavioure,
Georges Brainos, Sancho...), des lieux (le dancing de La Marine à Paris,
un château en Sologne, Annecy...).
Les plus fidèles lecteurs de
l'écrivain âgé aujourd'hui de 74 ans se régaleront des minuscules
indices distillés dans les pages du roman publié, comme les précédents,
chez Gallimard.
L'agence de détectives Hutte se trouvait au cœur
du roman "Rue des Boutiques obscures", Brainos et la rue Vaugelas
apparaissaient dans "L'Horizon", Annecy servait de décor à "Villa
Triste"...
Jean tourne en rond. Son enquête reste au point mort.
"Brusquement, j'ai éprouvé une grande lassitude à évoquer le passé et
ses mystères. C'était un peu comme ceux qui avaient essayé, pendant des
dizaines et des dizaines d'années, de déchiffrer une langue très
ancienne. L'étrusque par exemple", se lamente-t-il.
L'étrusque... comme la langue parlée jadis à Rome. Aucun mot n'est jamais là par hasard dans un roman de Modiano.
C'est
justement à Rome que nous entraîne brusquement l'écrivain. Le lecteur
ne lit plus le journal de Jean. Le roman passe à la troisième personne.
Deux personnages se rencontrent. S'agit-il de Jean Eyben et de Noëlle
Lefebvre?
Pour saisir le réel, nous enseigne Modiano, il faut
faire confiance à l'intuition, à l'imagination du romancier plutôt
qu'aux souvenirs flous des témoins. "Demain, promet l'écrivain, ce
serait elle qui parlerait la première. Elle lui expliquerait tout.".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire