vendredi 4 octobre 2019

Patrick Modiano : Encre sympathique









    "Il y a des blancs dans cette vie...". Ainsi débute ce roman écrit à la première personne. Dans sa jeunesse, le narrateur (fut chargé par l'agence de détectives Hutte de retrouver une jeune femme disparue, Noëlle Lefebvre. Le dossier est maigre. Tout juste sait-on (mais ce n'est pas certain) que la jeune femme aurait habité rue Vaugelas à Paris.
   Trente ans ont passé. Jean Eyben tente de reconstituer le puzzle de cette affaire irrésolue.
   Le livre que le lecteur tient entre ses mains est en fait le journal de Jean. Il écrit pour se souvenir mais les indices sont épars et la mémoire vacillante. Comment combler les blancs qui persistent?
- Le "chaînon manquant" - Au fil de sa quête, Jean retrouvera les traces enfouies de sa propre vie. "Je finissais par croire que j'étais à la recherche d'un chaînon manquant de ma vie", constate-t-il stupéfait.
"A mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l'encre sympathique (...) Peut-être, au détour d'une page, apparaîtra peu à peu ce qui a été rédigé à l'encre invisible (...) D'une écriture très nette et qui ressemble à la mienne, les explications seront données dans les moindres détails et les mystères éclaircis", se prend-il à espérer.
    Dans le fracas de sa mémoire, Jean se remémore des noms (Gérard Mourade, Roger Béhaviour à moins que ce ne soit Béavioure, Georges Brainos, Sancho...), des lieux (le dancing de La Marine à Paris, un château en Sologne, Annecy...).
   Les plus fidèles lecteurs de l'écrivain âgé aujourd'hui de 74 ans se régaleront des minuscules indices distillés dans les pages du roman publié, comme les précédents, chez Gallimard.
    L'agence de détectives Hutte se trouvait au cœur du roman "Rue des Boutiques obscures", Brainos et la rue Vaugelas apparaissaient dans "L'Horizon", Annecy servait de décor à "Villa Triste"...
   Jean tourne en rond. Son enquête reste au point mort. "Brusquement, j'ai éprouvé une grande lassitude à évoquer le passé et ses mystères. C'était un peu comme ceux qui avaient essayé, pendant des dizaines et des dizaines d'années, de déchiffrer une langue très ancienne. L'étrusque par exemple", se lamente-t-il.
   L'étrusque... comme la langue parlée jadis à Rome. Aucun mot n'est jamais là par hasard dans un roman de Modiano.
   C'est justement à Rome que nous entraîne brusquement l'écrivain. Le lecteur ne lit plus le journal de Jean. Le roman passe à la troisième personne. Deux personnages se rencontrent. S'agit-il de Jean Eyben et de Noëlle Lefebvre?
   Pour saisir le réel, nous enseigne Modiano, il faut faire confiance à l'intuition, à l'imagination du romancier plutôt qu'aux souvenirs flous des témoins. "Demain, promet l'écrivain, ce serait elle qui parlerait la première. Elle lui expliquerait tout.".

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