Ah le Double blanc des Beatles. 50 ans
après, une pochette belle comme une œuvre de Malevitch qui se
bonifie avec le temps en virant blanc cassé. Pire. A force d’une
écoute assidue la circonférence des disques se dessine sur la
pochette comme le christ sur le saint suaire à Milan. J’ai même
cru y voir le visage des quatre gars de Liverpool. C’est vous dire
à quel point d’adulation mystique j’étais.
J’étais jeune, innocent, naïf et
crédule écoutant en boucle ce « Double blanc » des
Beatles sur l’unique haut-parleur à la membrane vacillante de mon
électrophone, (un TENAZ gris car mes parents manquaient de moyen) ,
tandis que ma vieille passait et repassait l’aspirateur Tornado
dans un vacarme assourdissant, juste avant que je l’entende gueuler
derrière la lourde : « Va me chercher une demi de beurre chez
Ginette. T’en profiteras pour rapporter le panier de pinard à la
mère Dallissier qu’attend après pour vaincre sa déprime.» Dix
litrons de Vin des Rochers à se traîner pour deux balles la course
et retrouver le bras de l’électrophone en bout de course avec un
troupeau de moutons sous le saphir. Bêêêêê!!!!! Y'a pas de bê
!Alors tu réessayes d'écouter les différentes subtilités avec
l’aspirateur qui ronfle, la cocote minute qui chuinte, la machine à
laver qui ronronne et l’appareillage Moulinex qui libère la femme
sans oublier «Çà va bouillir» avec le grand Zappy Max à la T.S.F
datant de la guerre. Et tout ça pour entendre ensuite gueuler dans un
silence aussi soudain qu’oppressant « Tu vas m’arrêter ton
crincrin et faire tes devoirs avant que ton père n’arrive !»
Il m'a fallu attendre le weekend. y avait
« boum » chez Alain. Fort des principes d’éducation de ma mère,
j’ai mis un slip propre au cas où j’aurais un accident et suis
parti avec mes galettes sous le bras dont le double blanc.
Pour
l’occasion, le père d'Alain avait sorti la 403 du garage. Et les
quelques gusses qui s’y tapaient un cul dessus, coca en main,
question d’épater les filles, allaient vite fait perdre sens de
l’humour et sourire ravageur si d’aventure le père d'Alain, se
mettait à la fenêtre en allant pisser entre deux commentaires de
Sport Dimanche. Ils vivaient dangereusement.
J’ai
rejoins Alain et nous avons investi le garage plein à craquer. Dans
le noir total entre deux éclairs de lumières colorées ont s’est
glissés entre les couples jusqu’au buffet question de sauver deux
jus d’orange avant de s’attaquer au «nid de salopes»
comme disait Gégé. Nous ne demandions qu’à le croire. J’ai
laissé mes galettes avec celles des autres. Le son à fond les
manettes on se sentait un rien gauche. La pénombre nous allait bien.
Les
danseurs évoluaient sur la piste de danse au rythme langoureux des
faces lentes enchaînées. Pour la troisième fois, Gégé et Alain
vérifiaient l’appareillage dentaire de leurs partenaires. Une
vocation. Ça et là, on discernait des froissements d’étoffes,
des mots susurrés, des rires étouffés par des baisers. Des couples
s’éloignaient. D’autres les remplaçaient avec toujours cette
même ardeur que provoquent les émois naissants. Alain à disparu à
son tour. Je ne voulais pas rester seul. Je me suis tapé une chaise.
Dans le jargon, une chaise c’est une fille qui ne se laisse pas
approcher. Pour une étreinte il m’aurait fallu lui briser les deux
bras comme les barreaux d’une chaise d’un seul coup d’un seul.
Les faces lentes enchaînées, c’est bien quand tu emballes. Vingt
minutes et que du bonheur. Accrochés à des barreaux de chaise,
vingt minutes, c’est long. Et en vingt minutes j’ai eu tout le
temps de constater les dégâts qu’opérait l’escadrille de
copains alentour.
A la
quatrième chaise, j’ai décidé de lever le camp. J’ai fendu la
foule question de récupérer mes galettes. Il ne serait pas dit que
ma discothèque encourage la luxure seulement chez les autres. Le
compte n’y était pas. Il m’en manquait un. Et pas des moindres.
Le Double blanc avait disparu. Un après-midi pourri.
Mais l’été
1968 fut alors chaud dans une grange aménagée à Servian dans l’Hérault,
à écouter, danser et draguer sur ce Double blanc à déguster, bien
entendu, sans modération.
Bon anniversaire.
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