L’écrivain Philip Kerr est mort le vendredi 23 mars. Auteur d’une trentaine de livres, il avait été rendu célèbre par son détective Bernie Gunther, inspecteur de la « Kripo », la police criminelle allemande, enquêtant tant bien que mal sous le régime nazi.
Pour créer son univers, la bible de l'Anglais Philip
Kerr n'était autre qu'un vieux Baedeker édition 1930, consacré à Berlin. Sans ce guide du temps jadis, qui répertorie bars, restaurants, boîtes de nuit, bâtiments
administratifs, les romans noirs berlinois de Kerr n'auraient pas ce
fascinant goût d'authenticité. Mais pour ressusciter par la plume les
ruines d'une ville détruite et fantomatique, il faut plus, bien sûr,
qu'un Baedeker. Car du Berlin nazi, il ne reste, hormis les musées et
les églises, que l'écrasant ministère de l'Air de Göring, devenu
aujourd'hui ministère des Finances, la synagogue de l'Oranienburger
Strasse, rebâtie en partie, et l'hôtel Adlon, ex-palace cosmopolite
reconstruit à l'identique. Tant de rues ont été rayées de la carte, tant
de noms transformés. Et pourtant, grâce à la formidable minutie de
Kerr, on a l'impression d'y être, plongé dans ce labyrinthe débridé où
évolue son héros, Bernie Gunther. Bernie n'est pas n'importe qui.
Brillant policier avant l'arrivée des nazis, en 1933, détective privé
ensuite, il est si efficace que Heydrich, séduit par son talent, le
réintègre de force en 1938 dans la Kripo (Kriminalpolizei).
Pour se documenter, Kerr a ajouté à son Baedeker fétiche des balades
dans la ville et de multiples lectures, parmi lesquelles les mémoires
des grands détectives berlinois, traduits jadis en anglais. Après Christopher Isherwood, Lan Deighton et John Le Carré, Kerr
à perpétué donc ce tropisme étrange des Britanniques pour Berlin. En
l'occurrence, un Berlin aussi noir que brun.
Trilogie berlinoise
À
travers le regard désabusé et insolent de Bernie Gunther, ancien
policier devenu détective privé, immersion dans une Allemagne au
tournant de son histoire, le temps de trois enquêtes.Berlin, 1936. Alors que les Jeux Olympiques approchent,
Gunther est embauché dans L’Été de cristal par un riche industriel pour
élucider le meurtre de sa fille et surtout la disparition d’un précieux
collier en diamants. Bientôt la Gestapo s’en mêle… Deux ans
plus tard, dans La Pâle Figure, la tension monte en Allemagne, y compris
pour Gunther, sommé par le bras droit de Himmler de résoudre au plus
vite les viols et les meurtres en série d’adolescentes blondes et
aryennes. Changement de décor pour Un Requiem allemand : dans la
Vienne de 1947, Gunther est appelé à la rescousse par un ancien
collègue, accusé de meurtre. Au sortir de la guerre, un monde nouveau
est à reconstruire et beaucoup semblent prêts à tout pour tirer leur
épingle du jeu…
La mort entre autres
On
se souvient de Bernie Gunther, l’ex-commissaire de police devenu
détective privé, qui, à la fin de La Trilogie berlinoise, assistait à la
chute du IIIe Reich, conscient de la corruption qui, à Berlin comme à
Vienne, minait le régime. 1949.
Bernie vit une passe difficile. Sa femme se meurt, et il craint que le
matricule SS dont il garde la trace sous le bras ne lui joue de sales
tours. Une cliente affriolante lui demande de retrouver la trace de son
époux nazi, et le voici embarqué dans une aventure qui le dépasse. Tel
Philip Marlowe, son alter ego californien, et en dépit de son cynisme,
Gunther est une proie facile pour les femmes fatales… Atmosphère
suffocante, manipulations, et toujours l’Histoire qui sous-tend
habilement la fiction.
Une douce flamme
Il paraît qu'en présence du Führer, ses
admirateurs sentaient brûler en eux une douce flamme... En 1950, lorsque
Bernie Gunther débarque à Buenos Aires sous un nom d'emprunt, la ville
est infestée d'exilés nazis, qui ont reconstitué leurs réseaux
et leurs pratiques. Informé de sa véritable identité, le chef de la
police charge Bernie d'une enquête qui lui rappelle une affaire non
élucidée, alors qu’il était détective à la Kripo berlinoise : une jeune
fille retrouvée, atrocement mutilée, une autre disparue. L’occasion,
pour Bernie, de découvrir l'ampleur de la collusion entre le régime
Perón et les nazis… Dans le sillage de La Trilogie berlinoise, la
confrontation entre l'Histoire et le crime continue, sous la plume de
Philip Kerr, de provoquer des étincelles.
Hôtel Adlon
Chargé
d'assurer la sécurité d'un des plus luxueux hôtel berlinois, l' Hôtel
Adlon, Bernie Gunther voit son job se corser lorsque les morts commencent à
s'accumuler. le dirigeant d'une entreprise de construction est retrouvé
mort dans sa chambre. Comme si cela ne suffisait pas, le cadavre d'un
jeune boxeur juif est repêché dans un canal de la ville, les poumons
remplis d'eau de mer. En parallèle, Gunther fait la connaissance - et un
peu plus - avec la délicieuse et magnifique Noreen Charalambides,
journaliste juive américaine venue enquêter sur la politique raciale de
l'Allemagne à l'heure des prochains JO de Berlin : elle entend prouver
une discrimination envers les Juifs en vue d'un boycott américain et il
va l'y aider. Vingt ans plus tard, il recroise Noreen à La Havane. La
Havane où les mafieux américains font pratiquement la loi et où lui-même
tente une réorientation professionnelle dans le cigare. Jusqu'à
l'assassinat d'un businessman germano-américain véreux, tandis que
gronde la rébellion anti-Batista.
Vert de gris
En 1954, l'armée américaine arrête Bernie Gunther à bord du bateau dans
lequel il quittait Cuba. En pleine guerre froide, la CIA espère obtenir
de lui des informations sur Erich Mielke, ancien SS comme lui, devenu
chef de la Stasi.
Prague fatale
Berlin,
1942. Bernie Gunther, capitaine dans le service du renseignement SS,
est de retour du front de l'Est. Il découvre une ville changée, mais
pour le pire. Entre le black-out, le rationnement, et un meurtrier qui
effraie la population, tout
concourt à rendre la vie misérable et effrayante. Affecté au
département des homicides, Bernie enquête sur le meurtre d'un ouvrier de
chemin de fer néerlandais. Un soir, il surprend un homme violentant une
femme dans la rue. Qui est-elle ? Bernie prend des risques démesurés en
emmenant cette inconnue à Prague, où le général Reinhard Heydrich l'a
invité en personne pour fêter sa nomination au poste de Reichsprotektor
de Bohême-Moravie.
Les ombres de Katyn
Mars
1943. Le Reich vient de perdre Stalingrad et le moral est au plus bas.
Pour Joseph Goebbels, il faut absolument redonner du panache à l’armée
allemande et porter un coup aux Alliés. Or sur le territoire soviétique,
près de la frontière
biélorusse, à Smolensk, ville occupée par les Allemands depuis 1941, la
rumeur enfle. Des milliers de soldats polonais auraient été assassinés
et enterrés dans des fosses communes. Dans la forêt de Katyn, aux abords
de la ville, des loups auraient d’ailleurs déterré des fragments de
corps. Qui est responsable de ce massacre ? L’Armée rouge sans doute.
Pour Goebbels, c’est l’occasion rêvée pour discréditer les Russes et
affaiblir les Alliés. Il a l’idée d’envoyer sur place une autorité
neutre, le Bureau des crimes de guerre, réputé anti-nazi, pour enquêter
objectivement sur cette triste affaire. Le capitaine Bernie Gunther, qui
y officie est la personne idéale pour accomplir cette délicate mission.
Gunther se retrouve dans la forêt de Katyn avec une équipe pour exhumer
les quatre mille corps des officiers polonais et découvrir la vérité,
quelle qu’elle soit.
La dame de Zagreb
Eté 1943. Il y a des endroits pires que
Zurich, et Bernie Gunther est bien placé pour le savoir. Quand Joseph
Goebbels, ministre en charge de la propagande, lui demande de retrouver
l’éblouissante Dalia Dresner, étoile montante du cinéma allemand
qui se cache d’après la rumeur à Zurich, il n’a d’autre choix que
d’accepter. Mais, très vite, cette mission en apparence aussi
aguichante que l’objet de la recherche, prend un tour bien plus
sinistre. Car le père de Dalia Dresner est en fait un croate antisémite
de la première heure, sadique notoire, qui dirige un tristement célèbre
camp de concentration de la région. Et la police suisse exige au même
moment que Gunther fasse la lumière sur une vieille affaire qui risque
de compromettre des proches de Hitler.
La Femme de Zagreb est une histoire formidable, extrêmement bien documentée sur cette période cauchemardesque, avec son héros cynique, attachant, et toujours aussi indomptable.
La Femme de Zagreb est une histoire formidable, extrêmement bien documentée sur cette période cauchemardesque, avec son héros cynique, attachant, et toujours aussi indomptable.
Les Pièges de l’exil
Au milieu des années 1950, Bernie Gunther est l’estimé concierge du
Grand-Hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat, sous une identité d’emprunt qui le
met à l’abri des représailles et des poursuites (il figure sur les
listes de criminels nazis recherchés). Mais son ancienne activité de
détective et son pays lui manquent. Pour tromper son ennui, il joue au
bridge avec un couple d’Anglais et le directeur italien du casino de
Nice. Introduit à la Villa Mauresque où réside Somerset Maugham,
l’auteur le plus célèbre de son temps, il trouve enfin l’occasion
d’éprouver quelques frissons : Maugham, victime d’un maître chanteur qui
détient des photos compromettantes où il figure en compagnie d’Anthony
Blunt et de Guy Burgess, deux des traîtres de la bande de Cambridge, a
besoin d’un coup de main... Très vite, la situation se corse, car
Gunther est dangereusement rattrapé par son passé. Le roman offre un
éblouissant portrait romanesque de l’écrivain, ancien espion de la
Couronne, tout en entraînant le lecteur dans une machination palpitante.
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